dimanche 12 novembre 2023

Gigantisme, …


C’est une question de rapport à l’autre. L’écologie. Avant, on parlait de l’environnement, et puis on s’est mis à parler de l’écologie, parce que parler de l’environnement menait à confusion. Le sujet a toujours été : nous. Je parle de l’écologie sociale maintenant, pour qu’il n’y ait pas question là-dessus, bien que je ne l’ai jamais pensé autrement. Les questions subsistent. Il faut peut-être se demander pourquoi ?

La raison est peut-être qu’il y a une vraie culture industrielle, maintenant, une sorte de religion industrielle. On la voit de plus en plus claire, elle paraît impossiblement ringarde, pour plusieurs d’entre nous, elle est tellement à côté de la plaque. Ceux qui y croient encore se retranchent derrière des idéologies négationnistes de plus en plus absurdes.

Mais c’est parce que nous passons d’une culture à autre. Les historiens, ils diront, peut-être, que la transition de l’époque industrielle, où l’énergie, la puissance était reine, à l’époque de la culture écologique, où l’ensemble du vivant devenait le centre de toutes nos préoccupations, a déjà eu lieu.

Que la toute puissance et le rapport de force, c’est déjà du passé. Mais non, pas encore. Et l’empire peut toujours renaître de ses cendres.

Et puis, il y a eu désaccord, parce qu’on en avait marre des gens qui parlaient de la fin du monde, alors qu’on s’occupait de la fin du mois. Tous ces mots. On les utilise plus pour délégitimer l’autre que pour vouloir dire quelque chose. J’utilise les mots écologie sociale pour être clair que l’on parle bien de notre avenir, forcément collectif. Je suis content que l’on comprend de mieux en mieux que nous sommes des êtres vivants, ensemble avec les autres. En voiture, entouré de sa bulle informatique, il est difficile de le comprendre, sauf de manière très abstraite. On écrase le vivant, sans même le savoir. Et puis on donne de l’argent, « pour compenser ».

Je les ai appelé les époques de l’ingénierie mécanique, qui a commencé dans les années 1800, et de la bio-ingénierie, commençant dans les années 2000 – deux cents ans d’accommodation du monde industriel, avec l’éruption des mouvements sociaux dans les usines, la création de syndicats et de partis politiques travaillistes, Luddites, socialistes, communistes. Pour terminer avec des ouvriers de l’automobile qui protestent contre la perte de leurs boulots, industriels jusqu’au dernier souffle.

Ce n’est que maintenant que l’on se retourne pour constater que le monde que nous connaissions est devenu méconnaissable. On oublie souvent de le dire. On parle du monde virtuel, du monde de demain (ou des lendemains d’hier). On oublie de séparer ce discours, qui vaut ce qu’il vaut, du discours du nous. Nous, le monde. Le monde virtuel ne remplace pas le vrai monde, il en fait partie. Le monde minéral fait partie de nous aussi. C’est l’échelle qui a changé. Mordor se répand partout. C’est dans le Seigneur des Anneaux, qui a été écrit par quelqu’un qui a servi dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale. Il sait ce que c’est, Mordor. Il sait que Mordor, cela peut vouloir dire Mort d’Or.

Il y a donc eu enchevêtrement entre le discours de la puissance industrielle et d’autres discours de la puissance de l’un ou de l’autre des groupes sociaux. Nos petites sociétés humaines, à l’échelle mondiale, se sont battues et se sont fait mal. Elles s’y appliquent encore, malgré l’évidence devant nos yeux. Elles ont réussi à créer des rapports de force chaque fois plus titanesques, jusqu’à reconnaître que même la guerre se doit de décroître, pour des raisons purement pragmatiques.

La guerre est devenue une sorte de rage mal contenue. Elle ne fait plus aucun sens, sauf pour punir. Elle est devenue industrielle. Une histoire d’attrition, de destruction mutuellement assurée. Les titans, ce sont nos sociétés, transformées en énormes unités verticalisées, qui s’autodétruisent mutuellement, comme avant, mais à l’échelle du monde.

Nous nous devons de trouver une autre manière de vivre.

Il y a eu confusion entre le métaphore « guerre » et « guerre écologique », mais je pense à une manière de contourner ce problème. Nous sommes dans l’après guerre, l’époque des réparations. Nous vivons dans un monde très usé maintenant, par toutes ces guerres et toutes ces préparations à la guerre, tous ces rapports de force indignes, toujours indignes.

Il y a plusieurs zones qui ont été tellement maltraitées qu’elles sont devenues des nomanslands, des déserts, sans vie, sans eau potable. A peine qu’elles répondent aux injections de fertilisant minéral, de phosphate et d’insecticide, tellement elles ont été maltraité. Mais pour les rapports de force industriels, c’est essentiel. La politique de la Terre brûlée.

Je pense à un truc, nous ne bougeons plus s’il n’y a pas un stimulus de rapport de force, tellement c’est devenu banal. L’argent, ça sert à ça, il fait que l’on soit « pris en considération ». Pour les gens qui aspirent à la liberté, la définition de rapport de force, c’est que c’est eux les plus forts. Ils sont devenus néolibéraux, addicts à l’argent, le rapport de force social. Lorsque je les interpelle, ils disent que je veux une dictature écologique. Non. C’est bien eux qui font tout pour que l’écologie gouverne leurs vie, d’un poing de fer.

Non, le métaphore à utiliser maintenant, c’est l’après-guerre, faire face à la désolation que nous avons créée, commencer à la soigner, l’aider à regagner sa confiance, à se remettre en état de viabilité, nous inclus. Si l’on veut, l’évolution, la sélection par la survie de l’espèce, c’est la guerre la plus dure imaginable et elle est instoppable. C’est cela, la vraie dictature écologique, l’écoréalisme. L’ennemi, c’est nous.

C’est pour cela qu’il est important d’atteindre un peu d’objectivité collective, face à ces défis, notre survie en dépend. Il faut bien aller à la racine des choses, pour y voir clair. L’argent n’est pas à la racine des choses, il est un moyen d’échange comme d’autres. Mais dans une petite ville de campagne, celui qui rafle presque tout l’argent disponible, après les achats contraints, c’est le café du coin. Juste le fait d’être sociable s’achète.

Il y a une ville qui s’asphyxie. 25 fois trop de fumées nocives, 30 millions d’habitants, plus. C’est à cause de la pollution des voitures et d’autres gaz industrielles, et du temps qu’il fait en novembre, anormalement chaud. Chaque année maintenant, normal. Il y a soixante ans, il y avait le smog, à Londres. On a mis en œuvre des mesures draconiennes, dictatoriales, s’il vous voulez, pour que plus jamais cela ne se passe comme ça. C’était devenu invivable. Dictature écologique ? Londres ? C’est peu probable.

A New Delhi, en 2023, les enjeux sont les mêmes, c’est la ville malade que je décris plus haut. L’Inde est aussi aux postes avancées dans la révolution verte. On comprend pourquoi, cela devient une question de vie ou de mort. A Pékin – Beijing, pareil, des énormes problèmes de smog. Une tension absolue entre le besoin de produire, de produire des produits industriels, et les besoins de la santé et de la survie humaine.

Comment en est-on arrivé là ? En faisant de l’industrie mécanisée une valeur culturelle. Et le symbole de cette culture, c’est la bagnole. Elle est devenue plus qu’une symbole, elle est devenue « nécessaire », dans l’esprit des gens. Les écolos les premiers, ils n’osent plus s’y opposer, surtout à la campagne. Ils parlent de covoiturage, de la pure hypocrisie. La voiture, le véhicule, reste le symbole, une symbole d’une culture, l’industriel. Par rapport au vivant, ce sont les routes, faites pour supporter les voitures, les camions et tout le reste, qui s’adaptent aux exigences de la voiture. C’est le comble d’être accusé de dictature par ceux qui exigent que la voiture commande. L’article première de cette foi, c’est que les routes sont nécessaires parce que les voitures sont nécessaires. Le raisonnement est circulaire.

Heureusement, pour la culture industrielle, que les routes s’éparpillent dans l’espace. La pollution aussi. Il suffit d’aller à la campagne pour éviter de s’empoisonner. Mais la campagne, en Inde, est déjà bourrée de gens, et beaucoup d’entre ces gens sont déjà dans la révolution de l’agriculture verte, bien plus qu’ici en Europe, où on a quasi-éliminé la paysannerie, préférant la mécanisation.

Je pense ici à un phénomène que j’ai souvent observé, perché à 2500 mètres sur la chaîne des Pyrénées, en Ariège (Port d’Urets). De ce mirador exceptionnel, on voit facilement Toulouse, qui est à peu près à cent kilomètres. Et on voit un dôme violacé dans l’atmosphère au-dessus – c’est la bulle de chaleur-pollution que crée la métropole. C’est comme dans un film de science fiction.

Et l’air à Toulouse est plutôt respirable, malgré la circulation – au moins dans les quartiers les moins pauvres, stratégiquement placées au dessus et loin des axes routières principales. Le Mirail, quartier et université près des principales axes routières, est pauvre, est bien pollué. Si l’université est particulièrement connue pour être de gauche, il y a résonance, ses étudiants partagent le sort du quartier.

Bien sûr que jusqu’à là, je n’ai parlé que des échelles assez petites, mais au niveau mondial, nous émettons suffisamment de gaz à effet de serre pour hausser la température, pour faire que le climat, surchauffé, se déchaîne, pour nous polluer tous. Les responsables ? Surtout, ceux qui font des longues distances, à la campagne. Tout processus industriel compris. C’est la puissance, l’énergie sur-utilisée, qui est le problème. Cela coûte très cher, de gagner 20 minutes sur un tronçon d’autoroute de cinquante kilomètres.

Nous ne pouvons plus nier, à la campagne, que nos habitudes énergivores font une partie majeure du problème social, surtout si nous n’acceptons plus de densifier la population rurale, ou pas de manière significatif. Négligé, délaissé par l’humain, « pris en charge » par les machines. Tout le monde devrait être en train de se poser cette question : « comment ré-intégrer de manière positive la culture de l’humain à celle de la biodiversité ? » La voiture ne fait pas partie des solutions réalistes, vue sous cette angle. La FNSEA se plaint du mauvais entretien des cours d’eau, par rapport aux inondations du Pas de Calais en cours. Quelle est la part joué par la compaction du sol, la disparition de la terre éponge, la construction dans les lits majeurs des rivières ?

Beaucoup de gens choisissent de vivre loin de la ville et de faire la navette au boulot, ou quand il est nécessaire. Sinon, ils s’attendent à ce que d’autres moyens de transport fassent le boulot de déposer aux supermarchés plus locaux, ou à leurs portes, les denrées qui leur manquent.

Peu importe, le mal écologique est fait. C’est justement ces gens qui vivent à la fois à la campagne, et à la fois en ville, ou tout comme si, … qui ont les taux de production de carbone les plus néfastes.

Les gens qui produisent le moins de CO2, ils vivent et ils travaillent dans et autour des grands centres urbains, les endroits les plus pollués. Ils sont très écologiquement conscients. A l’échelle globale, ce sont les gens qui vivent dans les pays pauvres qui souffrent – sécheresse, canicule. Ils vivent. En France, on maintient la fiction que la vie de pauvre est indésirable.

Il faut savoir ce qu’on veut, vivre ou mourir, collectivement. Cela a été un choc de constater que le climat change le plus rapidement en Europe, la température moyenne monte en flèche. Peut-être on fera le lien entre ces steppes d’agriculture industrielle, le manque de résilience de nos paysages et notre propre souffrance, comme les citadins ont déjà du faire, face aux dépradations.

Notre culture collective évoluera, cela veut dire qu’elle s’adaptera aux circonstances, bon gré, mal gré. C’est en train de se faire.

Si je suis activiste écologique à la campagne d’un pays riche, c’est bien que, dans ma vision des choses, c’est ici que cela se passe, malgré les apparences. La culture industrielle « la campagne ». La marque « campagne », l’« industrie du tourisme ». La culture de la campagne est de dépendre de l’industriel. Dans un pays riche, cela veut dire dépendre du tourisme des riches – en voiture de nouveau, d’importer la richesse que l’on ne produit plus. Le bio, c’est pour l’affichage, il est peu subventionné par rapport à l’industriel, il est, dans sa vaste majorité, industriel.

A la campagne d’un pays riche de l’Europe de l’Ouest, on exploite l’hyper-consommation des riches, venus en voiture. C’est la principale source de revenu, pour la plupart des gens qui bossent à la campagne. Et il y en a de moins en moins – la « population sur place » est numériquement « touriste » - il ne vit pas d’un travail sur place, il vit et il travaille ailleurs. Entre campagnes, les gens utilisent des voitures pour faire des kilomètres de dénivelé, pour aller travailler, la population de nuit est dénué d’actifs.

Actuellement cela réduit la campagne à une sorte de « fonction paysage ». La campagne est paysagère, adaptée à être vue et utilisée par des gens qui « se bougent » en voiture, des « touristes », d’abord et avant tout. Des gens qui se pensent des plus « orientés nature », qui empruntent des GRs avec leur GPS, arrivent et partent en voiture. Ils vont marcher, à la campagne, en voiture.

On se demande quand naîtra un tourisme vraiment utile à la campagne, qui n’est autre que la nature, ou le vivant, appelez-le comme vous voulez, à perte de vu. Mais actuellement, les marchés locaux sont là pour vendre des objets de consommation destinés aux touristes et aux habitués à la poche profonde. L’argent, il vient d’ailleurs.

La campagne devient une zone accommodée aux désirs des plus performants, au niveau de la poche, au niveau de la consommation, qui distribue, presque partout, le pire de la logique anti-écologique de l’époque industrielle que nous essayons de dépasser. On a mis les riches, par la définition d’aujourd’hui, comme des cochons, en plein milieu du jardin. Ils sont en train de tout bouffer.

Les producteurs de nature à manger, les agriculteurs, sont subventionnés, les riches qui viennent aussi. Puisqu’il n’y a qu’eux qui sont utiles. Un vrai paradoxe, le seuil d’entrée à la vie rurale est relativement haute, elle vaut une voiture ( les Celtes calculaient leur richesse en têtes de vache, mais ici, maintenant, c’est l’achat d’énergie – pétrole, qui compte). On a la voiture «  cheval de courses », bien sûr, mais aussi le mobilhome, la voiture électrique. D’habitude, ce sont des bagnoles de fonction, comme les chevaux et les ânes l’étaient avant.

Presque tous les intrants pour ce modèle sont très énergétiques. C’est le même calcul que celui que l’on fait pour l’empreinte carbone d’un musée, comme Le Louvre. Plus il y a de visiteurs qui viennent de loin, plus l’empreinte du seul transport et hébergement des visiteurs est grande. Cela représente 60 pour cent et plus du bilan carbone du musée. Ce n’est même pas dans les mains des curateurs de musée. Tout ce qu’ils font dans leur quotidien de bien, niveau frugalité, ne fera pas l’affaire. On ne fait pas venir un visiteur chinois à pied. En fait, on a abandonné toute réflexion sur l’utilité d’un voyage, pour l’environnement, l’environnement humain et du vivant. Certains musées ont compris, ils visent une population « locale ». Peut-être on pourrait avancer d’un cran, faire venir les touristes « locaux » à pied ou à vélo ?

Si les touristes actuellement véhiculées viennent de plus loin, ou voyagent plus fréquemment, comme presque tous ceux qui trouvent un boulot à la campagne, la campagne fonctionne exactement comme un musée. Avec tous les efforts du monde, le gros de son bilan négatif écologique, c’est les frais de transport, en carbone émis, routes comprises.

Pareil pour les paysans, les maraîchers et les agriculteurs. Le gros de leur consommation d’énergie, c’est de l’énergie qui est transporté de très très loin. Leurs pratiques, leurs champs grands et simplifiés, leur fil électrique, ce sont aussi des « routes », pour que le tracteur roule. Tout est calculé pour simplifier la « vie » de la machine. Les panneaux solaires, qui ont le mérite d’être statiques une fois arrivées, viennent de Chine. Les minerais qui sont employés dans leur confection viennent de partout dans le monde.

Je trouve que l’on n’est pas en position de nier ces vérités. On cumule l’évidence que cela doit être vrai. Insecticides, oui. FNSEA, oui. Chasseurs, oui. Agriculture industrielle non-bio, oui. Dépendance massive sur le transport véhiculaire mécanisé, oui. Nous savons aussi que statistiquement, la population présente à la campagne est de plus en plus riche, ces dernières années. C’est-à-dire, elle est riche en hydrocarbures, essentiellement. Le temps est bien venu de parler de la place de la voiture, à la campagne.

L’industriel est associé avec la puissance et la richesse, le rapport de force. Mais objectivement, l’industriel ne fait pas le poids, face à l’évolution. L’évolution se moque de qui est le plus fort, concurrentiellement, entre mammouths industriels, elle ne cherche que le plus apte. Nos petites querelles de ce que cela veut dire « croissance » ou « décroissance », elle s’en moque. Beaucoup plus important, pour l’évolution, ce sont des questions comme « est-ce que cela peut se reproduire ? » Ou « est-ce que cela peut s’auto-organiser ? »

Pour l’industriel, la réponse est, manifestement, non. La plupart des organismes industriels sont tellement inadaptés à la survie autonome qu’ils cessent de fonctionner dans des délais très réduits, sans un apport constant d’énergie de l’extérieur et des décisionnaires humains. Le transport d’énergie à longue distance devient le pilier central de la culture industrielle. Le poids d’une batterie à lithium, fois des millions, par exemple.

N’est-ce pas que lorsque nous parlons de colonialisme et de néocolonialisme, nous parlons de cela, l’apport, d’ailleurs, des forces nécessaires ? Comparons-le avec le monde biologique, la logique biotique. Les végétaux convertissent l’énergie solaire qu’ils reçoivent sur place en matière. Les vents, l’atmosphère, font le transport de la matière que les êtres vivants convertissent en énergie.

Et tout cela, sans aucun apport industriel. Les transferts d’énergie sont massifs. Notre culture industrielle dépend du dépens du cumul, pendant des milliers de millions d’années, de l’accumulation de cette énergie, à origine solaire. Nous parvenons à épuiser ces gisements, et malgré nos gains en efficacité énergétique, de dépenser de plus en plus d’effort à récupérer de moins en moins de matière première.

Les énergies renouvelables deviennent nécessaires, pas optatives. Mais l’énergie renouvelable le plus idéal, c’est, par exemple, le vent. Pas l’éolienne, ni l’électricité qu’il produit, mais juste le vent. Et pourquoi choisir un panneau photovoltaïque, si le gros de l’usage énergétique est pour chauffer, ou refroidir ? La méthode industrielle, de détruire la nature, d’accommoder la production végétale à une mission de « rentabilité immédiate », alors que le végétal est le plus grand capteur et convertisseur d’énergie solaire qui soit, de « réduire » la mission à la production d’électricité, qui ensuite alimentera la machine, c’est d’ignorer les « machines » naturelles déjà opérantes.

La culture industrielle est une culture très primitive, à vrai dire, elle ne renouvelle rien. C’est ce que l’on veut dire quand on parle d’autonomie. Renouvellement. Reproduction. Auto-organisation.

Tout être vivant sait le faire, pas tout seul, c’est la règle. On peut imaginer que notre bio-ingénierie terminera par produire des organismes qui savent se reproduire et s’auto-organiser, c’est la prochaine étape logique dans l’affaire, ça commence déjà avec les drones. Mais c’est une course contre le montre, notre survie peut en dépendre. Pouvons-nous créer des machines vivantes, qui s’auto-organisent ?

Elles sont déjà là. Il faut plutôt apprendre à mieux s’intégrer à ces mécanismes dits « naturels », mieux les cultiver. On en parle, avec les inondations dans le Pas de Calais, on en fait déjà beaucoup, de réouverture de marais, de zones inondables qui servent d’éponges. La culture industrielle est aux antipodes de cette réalité, c’est même elle qui crée le ruissellement. La science, non. La science comprend que l’auto-organisation existe déjà, si on la permet d’exister, de « fructifier », c’est cela le sens du mot « écologie ».

Notre puissance brute, l’énergie que nous produisons par l’industrie, elle est infiniment moins intelligente, comme processus, que ce qui existe déjà, dans le biosphère. Notre monde purifie l’eau et l’air, pour nous. Elle recycle nos déchets, organiques. Chaque substance produite, reproduite, trouve son usage. Le déchet de l’un est l’intrant de l’autre. Chacun est le mieux placé pour décider de l’intrant/déchet qu’il produit.

Le comble, c’est que cela a l’apparence d’une vaste concaténation d’erreurs. Je ne décris pas ici une horloge parfaite, comme l’univers de Newton, sinon un système qui s’auto-entretient par des erreurs constantes. Ce n’est pas le plus puissant, le plus énergivore, qui gagne, loin de là. Moins il consomme, plus l’organisme a des chances de survivre, lorsque les ressources manquent. Ce sont les « goulots écologiques ».

On ne parle donc pas de décroissance – puisque les organismes qui survivent peuvent croître, parfois exponentiellement. Et ces organismes sont à toutes les échelles, du virus à la baleine bleue. L’échelle uniquement industrielle représente un non-sens, un cul-de-sac évolutionnaire. Nous ligoter au béton de l’industriel, c’est nous couler, du point de vu évolutionnaire.

On peut faire un parallèle avec les dinosaures. On sait aujourd’hui que les oiseaux sont des dinosaures. On sait aussi que, dans leur vaste majorité, les oiseaux contemporains sont bien plus petits que leurs ancêtres. On pourrait même dire que le principe industriel de l’économie de taille, version biotique, a déjà été tenté, et ceci à maintes reprises. Il y a le potentiel d’un industriel biologique, cela a déjà existé, il s’est presque éteint, là où il ne s’est pas rapetissé.

L’environnement, c’est l’environnement social, c’est ceux qui sont autour de nous, n’est-ce pas ? Moi, j’ai passé tellement de temps avec d’autres bestioles que je vous jure qu’ils se font des blagues. On a sévèrement sous-estimé l’intelligence des autres êtres vivants, comme par principe, il y a eu beaucoup trop d’objectivisation. Le vivant, il est subjectif et souvent proactif. On a sévèrement sur-estimé l’intelligence relative humaine – de certains d’entre nous. Mais il y a partage de l’intelligence entre tous les êtres vivants, bien plus qu’on a voulu le croire, en prenant ce cul de sac intellectuel. On continue d’avancer, c’est une science toute neuve, celle de l’intelligence biologique.

Ici, je suis dans une partie du monde qui s’appelle les Cévennes, ou tout le monde ou presque a une voiture. C’est ici, à coup sûr, qu’on est en train de tuer le monde. Et tout le monde ici avance des raisons qu’il pense bonnes pour continuer dans son usage de la voiture, évidemment. On aime la liberté, la liberté de choix ici. On ne voit pas, ou l’on ne veut pas voir, jusqu’à quel point nos choix, ici, condamnent d’autres, ailleurs, qui n’ont pas le choix. Nos choix s’imposent sur d’autres. C’est déjà la dictature, pour eux.

Pour nous, c’est de plus en plus difficile de maintenir le niveau de confort et d’aisance de vie auxquelles nous aspirons. La voiture nous assure ces possibilités, mais elle coûte « trop cher ». La liberté, elle s’achète, mais elle est hors de prix, pour la plupart d’entre nous.

Je suggère une autre voie envers la liberté. Nous libérer de notre dépendance sur la voiture. Nous remettre en synthèse avec la nature, notre nature, plus directement, de biote en biote. C’est logique. La technologie moderne est en train de nous tuer. Il ne faut pas en être dépendant, en faire le transmetteur-récepteur exclusif. Le moins que l’on puisse faire, c’est de nous libérer de cette dépendance et voir si c’est vraiment si nécessaire, si c’est vraiment le moins pire. Il y a plus moins pire que cela, je vis sans voiture, à vélo, à la marche. Cela me plaît plus, je n’aime pas ce que les voitures et les portables font de nous.

Notre dépendance est systémique, certains avancent l’idée que cela veut dire « à toutes les échelles à la fois », mais je préfère dire que c’est d’abord une question d’infrastructure, de ce qui est entre nous. C’est pour cela que la voiture est absolument centrale au débat. C’est pour cela qu’il nous faut tenter d’inventer un autre système qui marche.

Les Cévennes, c’est un très bon endroit pour faire cela, tout le monde croit dur comme fer que c’est impossible. Si on le faisait ici, personne ne pourrait s’obstiner à prétendre que c’est impossible. Le bruit court, les Cévennes, c’est très bien connecté.

Je pense, en toute justice, qu’avant de prononcer le mot « impossible », on devrait essayer. S’il existe une infrastructure sans bagnole, si on voit comment ça marche, on sera mieux placé pour juger, non ? La société des voitures nous a déjà désenclavé, les gens se mélangent à distance maintenant. Des circuits réguliers sans voiture peuvent recentrer ces groupes sociaux, distance, avec le « slow transit ».

Je me sens un peu con de me trouver là, à parler d’un sujet tabou à plein jour, même à la nuit des temps. Nous sommes dans l’entre nous – on est combien … ? Les touristes sont partis, c’est peut-être cela, la motivation, on a encore le temps de faire quelque chose, ou pas, cet hiver.

Le temps, on a le temps, bon, manière de parler. La Banquise, elle fond, visiblement. Et ici ? Il fait un peu plus chaud. En fait, ce qu’il faut craindre ici, c’est l’arrivée de réfugiés climatiques d’ailleurs, je veux vous effrayer ! Ne faudrait-il pas y penser, avant qu’ils n’arrivent ici ? Les circuits réguliers, à pied, à vélo, que je propose, c’est une vraie solution à cette problématique.

Historiquement, les Cévennes, comme d’autres renforts montagnards, ont eu des hauts et des bas démographiques. Actuellement, on est autour du plus bas depuis 800 ans, peut-être. Il y a des ruines, des habitats désoccupés partout, suite à une hémorragie démographique datant de la première époque industrielle – un genre d’écroulement écologique partant du milieu du 19ième siècle, reprenant après les Grandes Guerres. Le repeuplement de la campagne n’a guère commencé. C’est une époque pionnière.

Pour le moment, on s’y est habitué, à ce désert rural. On a pris goût à un paysage vide, où tous les trajets se font en voiture. Vous avez vu le nombre de voitures électriques, les quatre quatre, les camions et camping cars de luxe, les motos, les buggies ? C’est un vrai paradis pour la société mécanisée libre, la campagne, bien plus que la ville. Vous ne l’avez pas noté ?

A quoi sert une grosse voiture, si elle ne peut jamais montrer ses capacités ? J’ai l’impression que les touristes pensent que la campagne, c’est leur endroit de liberté. Leurs voitures, leurs motos, leurs chiens, ils veulent les laisser courir libres.

C’est un vrai point aveugle. Ils veulent être libres, sans dictature, mais je ne sais pas ce qu’en pensent les bêtes qui rencontrent ces chiens ? Ils veulent rouler à 90kmh, mais je ne sais pas ce qu’en pensent tous les autres usagers de la route ? Sans parler des agriculteurs, qui veulent également imposer leur sceau sur la biodiversité.

C’est quoi cette liberté de détruire et remplacer le monde du vivant ?

Cette « mobilité » va bien avec la liberté d’association, si on ne parle que de ceux qui sont dans les parages. On peut s’associer, librement, avec des gens de Mende à Saint Jean du Gard, d’Anduze au Vigan, de Millau à Alès, si l’on a la bagnole et l’essence. Toute l’apparence de l’association libre, ce qui va bien avec la culture rebelle cévenole. Et puis, comme avec les touristes, ceux qui ont des véhicules, ils ont des véhicules, ils ne laissent pas d’empreinte au sol, ils n’envahissent pas, ou peu, n’est-ce pas … ? Ils viennent avec de l’argent à la poche, ils contribuent. Ils achètent les maisons qu’ils occupent de temps en temps, avec leurs invités, au passage. Ils sont très bien connectés.

C’est quand que l’on va déclarer la fin de la récré ?

Si l’on adaptait les méthodes que je préconise, jamais. C’est le paradoxe. Je propose des méthodes d’adapter nos libertés à la réalité des autres. Pour nous laisser libres, à l’égalité de nos pairs.

Et ce n’est pas du tout ce que les gens croient – ils croient que les écolos comme moi, nous proposons de les priver de leurs libertés (voitures, portables). Ce n’est pas moi, ce n’est pas des gens comme moi qui sommes en train de les priver de leurs libertés. C’est eux-mêmes, c’est là où le bat blesse. Tout « bon » manager en Lozère, bouge en voiture, autour de son département.

On est en train de consommer le monde. Bientôt, dans les Cévennes, on aura des réfugiés de L’Hérault – pas des touristes, des réfugiés, sans argent. Qu’est-ce que l’on va en faire – est-ce qu’on a la moindre idée de ce que l’on va en faire ? On est tellement dans le monde des machines que l’on ne sait plus employer les gens. On est configuré pour n’accepter que les gens qui achètent et consomment, pour justifier leur existence.

Je propose déjà de mettre à disposition des jardins vivriers à cultiver et des gîtes de passage pour ceux qui peuvent offrir leur valeur de travail humain, qui serait plutôt prisée.

D’office. En fait, la fameuse générosité, l’esprit tellement accueillant des Cévenols, c’est typique de la campagne française. Vous aurez raison si vous avez noté le deuxième degré. Je parle d’aujourd’hui, en fait. Hier c’était mieux, on avait besoin de main d’œuvre. Et c’est pour cela qu’il nous faut ressusciter les éléments de base de cet accueil, non pas pour renforcer les liens d’affect entre de petits groupes de gens qui sympathisent, sinon pour accommoder, en termes d’égalité, tout venant.

J’insiste là-dessus. La meilleure manière d’induire le conflit, c’est le mépris. Le moins qu’on puisse faire, pour les gens qui viennent ici sans argent, à pied, à vélo, en mouvement, c’est leur fournir les moyens d’être là et de contribuer.

Ce n’est pas en acceptant, de manière presque symbolique, quelques réfugiés de pays en guerre, que l’on fera face aux réfugiés climatiques. C’est en multipliant, par deux, par trois, par quatre, la population rurale ouvrière, écologiquement productive. Sans voiture, donc.

La voiture est elle-même devenue une impossibilité en campagne. On peut supporter une grande population à la campagne, seulement si elle est utile sur place et elle n’a pas de voiture, électrique, diesel, ou autre. Il est vrai que les paysans du tiers monde, tout comme les gilets jaunes chez nous, nous donnent un signal clair, ils ne veulent pas ça, ils veulent le beurre et l’argent du beurre.

Il faut contester cette vision. Un paysan au tiers monde n’a pas besoin de tout cet argent s’il n’a pas à payer le prix pour nos biens technologiques, nos salaires super-gonflés, nous, faisant partie aussi d’une élite rurale qui insiste sur son droit d’utiliser des véhicules motorisés. L’élite rurale, elle n’est plus rurale, elle est partout, grâce à la voiture, l’avion, le train, … elle est à la fois touriste, habitant de résidence secondaire, artisan, citadin, grâce à ces modes de transport.

Ce n’est pas devenir décroissant de proposer un mode de vie qui nous permet de vivre encore. Si l’on regarde les progrès que nous avons déjà fait, technologiquement, on voit que l’efficacité de nos machines a augmenté, de manière astronomique. On voit bien l’axe de mouvement, de machines statiques, lourdes, hyper-polluantes, à vapeur, à charbon, à des machines mobiles, chaque fois plus légères et économes en carburant.

La prochaine étape est le vivant, le vivant super-économe, qui n’avait pas de prix dans les lois du marché humain , qui commence à être critique pour notre survie. On commence à payer le prix, en négativités. Ignorer le sort de ceux qui n’ont pas le privilège de vivre dans des endroits paradisiaques, à la ruralité française, c’est une folie, cela ne peut que nous revenir dans la gueule. Si nous ne savons pas ouvrir nos portes et nos cœurs, la nature les éclatera.

Le vivant n’est pas d’une élasticité à l’infini. Au delà d’un certain seuil, il s’éteint. Même les lois du marché ne sont plus nos amis. Avec l’épuisement des ressources, l’une après l’autre, les valeurs relatives changent. L’eau devient payante. On observe déjà que la valeur des humains diminue – sans voiture, sans machines, ils valent de moins en moins. C’est l’une des choses qui s’approche du point de rupture, on le sait – on ne peut pas donner une voiture à tout le monde, ou une tronçonneuse, ou une débroussailleuse, ou un tracteur – ou toutes à la fois.

Il faut percer la bulle dans laquelle nous vivons, ici. Nous le devons à tous les autres.

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