dimanche 29 octobre 2023 rev. mardi 14 novembre 2023

« La Banquise fond et ici on joue aux p’tites voitures »

De retord

Pendant le retour j’étais saisi d’une sorte d’irritation prononcée que j’avais du mal à m’expliquer, au premier abord. Pourquoi les en voulais-je autant, à ces gens de la ruralité française ? Qu’est-ce qu’ils m’avaient fait ?

Mais en réfléchissant, j’ai compris que mes sentiments étaient plutôt bien fondés, ou au moins fondés dans un certain vécu. Je viens de la campagne.

Comme beaucoup de ces choses – les sentiments – on dit que chacun d’entre nous s’est vu mouler par ses expériences (c’est une variante de « on ne peut échapper à son destin »). Si j’ai un destin, c’est d’être l’un des premiers fils de néoruraux de l’époque présente, jamais à sa place, placé partout, comme un fils de la DAS dans la Creuse, version diaspora celte. Premier paradoxe, donc, dans ce chemin de vie semé d’embûches, d’être des premières nations, honni par les colons qui se croient « chez eux », là où je suis, moi aussi.

Sur la montée, sept cents mètres de dénivelé à 5 % moyenne, mon état furibond m’a permis le plaisir Nietzschéen de pédaler sans arrêt, ou presque. J’ai fait le gros du trajet entre 13h et 15h30. Avec une pause à la Magnanerie, édifice Parc Nationalisée d’une mornitude cadenassée sans fin, dans un paysage sonore moutonnesque. Un seul mûrier chétif patrimonial devant elle, entourée de chênes verts, avec plusieurs magnifiques châtaigners du passé semant les cinq cents mètres de chemin, à 700 mètres d’altitude, de leurs bogues. Ce qui est bizarre, c’est qu’elles restent là, éparpillées. Apparemment, même la faune locale n’en voulait pas, peut-être parce qu’ils ont été tout simplement éthiquement nettoyés par les chasseurs du coin ?

La descente fut encore plus rapide, aidé dans mon élan par la pluie latente et les nuages bourgeonnantes. Ma roue voilée s’est mystérieusement dévoilée, au moins en partie, et les conditions ont été optimales pour prendre de la vitesse sans crainte.

Arrival avant cinq heures à Florac, pour témoigner des dernières spasmes de ce que j’ai fui, la Fête de la Soupe, une sorte de Harvest Festival à la dérive, où une fête ancestrale conçue pour célébrer la bonnté de dieu nature s’est transmutée en gros festin de sur-consommation, avec beaucoup de bière, dans un effort manifeste de renflouer les caisses en plumant les touristes avant de fermer pour l’hiver. On est en période hivernale maintenant. L’hôtel du coin a fermé « jusqu’à Pâcques ».

Un parc automobile de vingt millions d’euros qui se déplace pour se bourrer la gueule, sans autre finalité que de fraterniser et de consommer jusqu’à l’hébétude. C’est la musique amplifiée qui est le plus insupportable dans cet enfer. J’ai appris une astuce ce midi, à Sainte-Croix, je prétends à l’acouphène, j’ai ainsi dissuadé à un soixante-huitard pas encore crevé d’installer son sono à 50 centimètres de mes oreilles.

Si ce n’est le petit attroupement de camions de vie auprès du parc, avec leurs babas propriétaires+chiens, se faisant passer pour une tribu néandertalienne, alors qu’ils sont de l’évidence même fumés de fric.

La colère est non-feinte. Elle est saine. Un commentateur à la radio, qui a écrit un livre tout dernièrement, a eu du mal à préciser les grandes lignes de ce monde post-moderne, en attente de l’apocalypse. Serait-il bipolaire – l’Occident contre la Chine ? Ou totalitaire contre démocrate, autoritaire contre humaniste, pauvre contre riche ? « Un peu tout ça à la fois », c’est tout ce qu’il pouvait sortir, laissant entendre que son livre n’en faisait pas mieux, une balade autour du sujet, une œuvre éphémère.

Bref, ce sont sûrement les riches qui sont en train de tuer le monde, peu importe la variante. A la campagne, on a l’impression d’être dans une terre où le fric, il commande du respect.

Ma fureur chaque fois plus malcontenue à la vue de ces habitants ruraux avec lesquels je n’ai rien en commun, mais rien, et tout à la fois, est basée sur le même ordre de constat. La maladie est fractale dans le temps, et dans l’espace, et elle commence « chez nous », cette maladie du monde.

Elle est tout et son contraire, à la fois. Une campagne préservée pour l’usage exclusif des riches, les colons, qui se croient, ou qui font semblant de se croire chez eux. Qui font des liens chaque fois plus alambiqués entre leur droit d’être là et leur bienséance. Ne comprennent-ils pas que leur monde est terminé, que le sursis est déjà suranné ?

Methinks thee protest too much (Shakespeare)

J’ai compris, sur la montée, que si les petites villes de la campagne par lesquelles je suis passé ces dernières années ont une vie associative éblouissante, avec un affichage sans honte du « care » et de la « solidarité » qu’ils portent dans leurs cœurs avec les réfugiés et chaque groupe affligé du monde, c’est une manière de racheter l’indulgence, non pas de Dieu, mais de ceux dont ils ont peur (bien que à l’origine c’était « la peur de dieu », Catho, protestante ou autre), jusqu’à ce que ce système de valeurs soit également portée par des « Communistes » [ou athées]).

Les « humanistes de gauche » ont chaud en ce moment. Ils vivent leurs contradictions.

Il faut agir en accord avec ses croyances, plutôt que de conniver dans le mal. Il y a des gens qui se disent anti capitalistes, mais il faut vivre et proposer d’autres systèmes, moins gouvernés par le capital, il ne suffit pas d’être anti-capital dans la parole, pro dans les actes quotidiens.

Il ne suffit pas de se prétendre humaniste de gauche si tout cela masque une réalité, que ta vie d’opulence est bâtie sur la misère, l’oppression et l’exclusion – le mépris – de la multitude. Et qui peut mieux remplir cette case qu’un travailleur humanitaire envoyé sur place dans un pays pauvre avec un salaire de 30 000, 40 000, 60 000 euros ? Ou un cadre du Parc National des Cévennes qui fait la soupe pour « aider les réfugiés » alors qu’il lui suffirait de sortir le centième de son salaire pour tripler la mise ?

C’est bien ici, à la campagne française, qu’on tue le monde du vivant, principalement par la surconsommation de combustibles. Le tourisme de consommation est notre seule véritable industrie, si ce n’est le touriste-fermier, également véhiculé, qui fait le tour de ses champs en tracteur. Qu’est-ce qu’on fera lorsque les touristes, ce sont les réfugiés climatiques des départements avoisinants ? Leur parler de nos droits de propriété ?

La Beauté


J’ai été saisi, la semaine avant-dernière, à partir de la crête qui surplombe la vallée de Saint Martin de Lansuscle, par la beauté, il n’y a pas d’autre mot, du paysage qui s’étalait devant moi. La beauté de la munificence. La châtaigneraie qui s’étale de tous bords, les montagnes qui se succèdent jusqu’aux horizons, l’accidentation, les petits hameaux imbriqués dans ce velours vert profond, châtaigne, escarpé, à tout niveau des vallées d’une éternelle profondeur.

Je suis en train d’essayer de faire une liste de toutes les raisons pour lesquelles on n’agit pas, ici, pour détourner le navire dans sa folle course envers la falaise du néant. J’essaie, vraiment, de me mettre dans la tête, de ne pas sous-estimer, de ne pas prendre à mal ou déconsidérer les gens d’en face. Il en va de ma propre crédibilité envers moi-même.

retours sur expérience

Et c’est pour cela que je deviens furax. Je bute contre une réalité qui me paraît incontestable, n’importe le sens dans lequel je le tourne.

Je suis tombé sur un exemple d’une manière de tourner la chose dans la tête. C’est l’argent. Genre : « Il faut bien de l’argent, si tu vis sans argent, tu profites du contribuable ». En effet, j’ai le CMU. Je contribues, moi aussi. Tout ne dépend pas de l’argent – qui n’est qu’un moyen d’échange entre autres. Il y a également échange et transmission de savoirs et travail productif humain, qui est à valoriser. L’argent ne se mange pas, c’est ce que l’on produit qui se mange.

Si je n’avais pas la carte de séjour, j’aurais l’AME – l’aide médical aux étrangers, également « grâce aux contribuables ». Il paraît que l’on va terminer avec tout ça, mieux laisser crever les gens dans la rue. Réalisme, on appelle ça. Si on avait une bonne appréciation des « contribuables », les humains, on s’occuperait de leur entretien, comme on le fait avec un véhicule, c’est un peu ça, l’aide médicale d’état ou le CMU. Lorsqu’on me le permet, j’aménage des jardins pérennes et je sème des fruits et légumes, entre autre. Il ne pourrait pas y avoir quelque chose de plus purement productif, de biodiversité, de réponses au réchauffement du climat, et de quoi alimenter le monde humain. Oui, je contribue.

Si le ton est acide, on peut également féliciter « les contribuables » pour leur contribution, à travers leurs « activités économiques », à la fin du monde, grâce au réchauffement global. Merci pour toutes ces millions de kilomètres de routes, goudronnées et bétonnés pour qu’on leur roule dessus, pour réchauffer la planète. Merci aux subventions gouvernementales pour ces milliards d’hectares de terre agricole compactée, sans vie, créant des inondations par ruissellement chaque fois plus intenses, avec une perte accélérée des sols.

Ce sont des adultes, quand même, ils ne sont pas bêtes. Si leurs justifications sont bidons, ils le savent, dans le fond. Et je dois les côtoyer.

Faîtes pas ci, faîtes pas ça. Faîtes quelque chose qui fait du sens, je veux croire en vous ! Dans le non-dit, les gens paraissent avoir élaboré des schémas mentaux du monde qui remplacent ce qui est devant leurs yeux. La culture de l’argent hypnotise.

Pendant ce marché de Sainte Croix VF, j’ai fait un stand nominal pour la première fois (ici). J’ai affiché les raisons de ma présence : remplacer la voiture, pour faire simple. J’ai commencé à avoir des retours, je pense en faire une sorte de question-réponse, les premiers jets d’un discours, avant qu’ils ne s’effacent dans ma mémoire.

Il y a eu des regards intempestueux, des aversions d’yeux, des comportements de dégoût.

Ici-bas le genre de commentaire :

- les politiciens ou socialites rodés estiment que les gens ne veulent pas y aller. Appelons cette attitude le « réalisme social ». Ils se pensent sages. Je pense que le débat n’est pas clos.

- il y a une seconde groupe de gens qui disent que les gens ne veulent pas y aller. Ce sont les gens qui ne veulent pas y aller, mais qui se pensent malins s’ils brouillent les pistes en disant que c’est « les gens » qui ne veulent pas y aller. Ces gens ont tendance à être de mauvaise foi. J’ai demandé, de face, à l’un de ceux-ci : « tu me soutiendras donc dans ma démarche – ce n’est pas toi, c’est moi qui les fait, les preuves d’amour pour mon prochain ? ». Il s’est vite effacé. Tout acte de charité, tout acte associatif, est calculé au millimètre près pour soutenir la bulle, la foule, qui masque sa propre incohérence égoïste. C’est l’argent qui obsède. Les politiciens ont raison de faire avec. Le vote, il est privé. On a bien les élus qu’on mérite.

- ensuite il y a le : « tu ne peux pas forcer les gens ». Variante : « tu ne peux pas obliger les gens ». J’ai l’habitude de prendre ce genre de déclaration avec un grain de sel, ceux qui le disent sont clairement de mauvaise foi, ou aveugles, ou un peu les deux, n’est-ce pas ? Pas acquis au débat, plutôt à l’engueulade. Ne voient-ils pas que je n’ai aucun rapport de force, aucune possibilité de contraindre qui que ce soit ? De quelle contrainte parlent-ils ? Ne voient-ils pas que je suis seul, face à une société qui n’a manifestement aucune sympathie avec ma cause ? Ils m’assurent que non, au contraire, la cause, elle est jolie, c’est moi qui m’y prends mal, … Mais dans ce cas, ils sont où, les autres ? C’est un sale boulot, ce que je fais.

Ou est-ce moi qui suis de mauvaise foi, en disant tout ça ? Je reconnais qu’il n’est pas strictement vrai que les gens n’ont « aucune sympathie avec ma cause ». J’ai plutôt la sensation qu’ils me regardent avec fascination, à dire les choses qu’ils n’osent pas dire, en public, à faire les choses qu’ils n’osent pas faire. Dire qu’on ne croit pas dans l’argent, aujourd’hui, c’est un peu comme dire qu’on ne croyait pas en Dieu, au dix-huitième siècle. C’était hautement sulfureux. Surtout à la campagne.

« Forcer les gens », c’est cela. N’importe que les mots ne veulent pas dire cela, c’est un peu comme se déclarer athée à la Mecque, cela ne se fait pas, il y a des limites. C’est l’une des choses qui fait surface la plus fréquemment, il faut le reconnaître. Bon, je fais mon boulot, devenu un peu anthropologique, à force. Et comme je le dis, il est manifeste, à la campagne, que comme un seul homme, personne n’a envie d’y aller, par le chemin que je propose. Sans voiture, sans débroussailleuse, ils seraient où ? Ils raisonnent presque exclusivement de manière auto-centrés, comme si c’était à d’autres, élus, administrateurs, de s’occuper de cela. Une élaboration de cette thèse, c’est l’idée qu’il ne serait pas « démocratique » d’imposer le point de vu d’une seule personne sur la majorité. Je n’impose rien. Il est vrai que le système que je propose, en agissant, peut s’imposer comme norme, les choses évoluent. C’est une proposition, pas une imposition.

Cette question, pour eux, il faut qu’elle reste rhétorique. Moi, je propose de la concrétiser – de donner des réponses pertinentes.

Ils ont l’habitude, les gens, tout-à-fait prédictible pour moi maintenant, de lancer une autre petite phrase tueuse, d’une stupidité sans bornes, « c’est ton choix » - l’objet paraît être de réduire tout à la seule prérogative individuelle, une sorte de libertarianisme totalitaire des plus nantis. Tous ensemble qui veulent la voiture, la monoculture, le confort de vie, l’indépendance de soi. Soi et ses amis. Grâce, non pas à la voiture, mais au combustible, à l’argent. A la campagne industrielle, c’est une évidence.

C’est, après tout, ici qu’on tue le monde, ici que l’on a le profile de consommation d’hydrocarbures le plus grand, pour les populations les plus riches. Paradoxe, une bonne partie de cette richesse s’écoule on essence. J’observe que ces populations font deux choses, ils exportent presque tout l’argent qu’ils gagnent en dehors du milieu rural, avec chaque visite à la station essence, c’est très efficace. Et à la fois, je constate, ils sont tous subventionnés, ils ne vivent aucunement du terroir. C’est juste un paysage. C’est très bizarre, de vivre sans argent à la campagne, tous les « bons bosseurs », ils vivent des subventions. Cela donne une sorte de société schizophrène, avec la valeur travail, les machines qui font le travail, le tourisme et les subventions – l’argent. Je ne demande pas le RSA. Le RSA est nécessaire pour alimenter la voiture en essence.

Pour cela que la beauté de ce paysage a quelque chose de tellement triste, même une latence menaçante, malsaine. Elle n’est que scène, en réalité. Fonctionnellement, elle n’existe déjà plus, son intelligence d’être se détisse avec une rapidité remarquable. Et elle est distante. Ce que l’on voit de près, c’est la route et les pancartes écrites en grosses lettres pour qu’on puisse les lire en roulant vite. On ne voit que des paysages.

Nous nous en prendrons, les uns contre les autres – les humains, ils sont comme ça, il doivent toujours trouver quelqu’un qui est le responsable de leur malheur. J’ai vu, à deux reprises, des mecs qui, si je ne me trompe pas, auraient bien voulu en découdre avec moi, pour la seule raison que j’ai affiché, en grosses lettres noires :

« La Banquise fond et ici on joue aux p’tites voitures »

suivi de

C’est quoi une vraie

« petite logistique » ?

… SANS VOITURE !


Je reconnais que c’était de la provoc, mais aussi, j’ai longuement réfléchi, et je ne savais pas mieux dire, en peu de mots, ce qui encapsulerait l’idée, sincère, de ce qu’il faudrait faire, de ce que je faisais, déjà.

L’autre occasion était lorsque j’ai dit, point blanc, à quelqu’un, un paysan, que non, je n’allais pas utiliser une débroussailleuse, j’allais utiliser une faucille. J’ai compris qu’il avait deux choses en tête, la première étant une vie de travail physique sans relâche, depuis l’enfance, où son père l’avait interdit le club de foot (adhésion trop chère) pour l’envoyer ramasser des châtaignes chaque jour, jusqu’au débordement des centaines d’hectares qu’il devait entretenir « tout seul », qui l’a cassé. La deuxième, c’était les connards qu’il a du subir, toute sa vie, qui ne comprenaient pas cette vie de dure labeur, qui proposaient des méthodes totalement maladaptives à la réalité administrative qu’il vivait.

Cette trame se répète, paraît-il, à l’infinie, chaque personne qui travaille ici, elle travaille « à distance » si elle est employée, pas toujours, mais disons que si tu te présentes pour un travail à la campagne, sans voiture, tu as peu de chance d’être embauché. C’est cette fameuse « réalité ». Et si tu veux travailler « avec la nature », on te mettra à coup sûr une débroussailleuse ou un volant entre les mains. C’est la réalité qu’il faut changer, et tout de suite, si le monde a un avenir. Mais dans cette campagne, on vit l’inverse, on vit la folie, grandeur nature.

En cela, je suis d’accord avec Arthur Ashe, que j’ai entendu à la radio, on vit une époque de folie collective où l’auto-défense se dresse surtout contre ceux qui osent proposer des systèmes, des infrastructures non-folles.

Je notes, donc, que oui, il est parfaitement possible, avec une faucille et une paire de sécateurs bien à point, bien affûtées, une scie à bois, une pelle-bèche, de s’attaquer au travail d’entretien d’un paysage, et que si l’on fait bien son travail, en formant les haies et les terrasses, on peut mettre le bétail pour faire le reste, à la bonne saison, cheptel réduit par un facteur de dix, bien sûr. C’est un travail qui se fait dans le détail, qui se combine avec beaucoup de jardinage, de production et de ramassage de fruits et légumes. De quoi ne pas être riche, comme dans le bon vieux temps. Tu veux être riche et mort, ou pas riche et pas mort ?

L’intérêt de ces méthodes est à deux coups, il donne de quoi vivre à l’humain et au reste du vivant – la biodiversité. Ce sont des méthodes qui augmentent la rétention de l’eau dans le sol et auprès du sol, qui diminuent la chaleur et encouragent les précipitations.

L’obstacle premier à ces méthodes, c’est le cadre administratif et règlementaire, qui vise à nous obliger, à nous contraindre à pratiquer une agriculture extensive et industrielle, qui tue le vivant. C’est intéressant de noter que, des deux côtés, on est d’accord sur l’objet de discussion, que l’on veut de l’essence moins chère, ou plus du tout, c’est bien le sujet à débattre.

L’agriculteur d’aujourd’hui est né avec ce camisole administratif, mais cela va bien plus loin, sa culture, productiviste jusqu’au dernier souffle, paraît similaire à celle de l’industrie extractiviste, ce n’est pas pour rien que l’agriculteur s’appelle « exploitant agricole ».

On ne peut pas revenir en arrière


Cette phrase est sortie, bien sûr, lorsqu’on propose de faire manuellement ce qui se fait à la machine – faucille contre débroussailleuse. Ensuite, les mots « développement » et « progrès » ne tardent pas à être prononcés. Mais en fait, la tragédie, c’est que ce capitalisme extractiviste, hors-sol, est très ancien. A l’époque moderne, il est féodaliste, mais on le voit également à l’époque de l’Empire Romain. C’est une colonialisme d’extraction, qui laisse souvent des territoires totalement détruits derrière lui. Actuellement, la priorité est de réhydrater le paysage et les sols, évoluer des techniques de survie pour la vie restante, lorsque les seuils de tolérance sont atteints, d’espèce en espèce.

Aujourd’hui, nous voyons bien que le monde n’est pas infini, que nous épuisons vite les ressources, atteignons les limites de la production. Mais ce n’est le cas que tout dernièrement. Avant, on pouvait exploiter à fond, jusqu’à l’épuisement, et passer à autre chose, ailleurs. Nous avons la culture de l’avant dans nos têtes, celui qui dit « je vais exploiter jusqu’à l’épuisement mes terres » et celui qui dit « moi, tout petit, je ne peux rien changer », toutes les excuses sont bonnes, sont mensongères, sont des codes sociaux.

Je suggère que l’on ne revient pas en arrière, à l’époque de l’agriculture industrielle, donc, mais que l’on crée des infrastructures où ceux qui passent et ceux qui vivent dans des lieux partagent l’ambition d’en nourrir la vie, à l’échelle humaine, plutôt que d’en extraire la substance vitale, avec des machines.


Tourisme : consommation ou production ?


C’est dans ce cadre que l’on peut revisiter l’idée du tourisme.

En ce qui concerne le gros du travail et de l’emploi à la campagne, il est dédié au tourisme, en France. Le tourisme est un intrant, il consiste en personnes qui viennent de l’extérieur, avec de l’argent. Tout comme le pétrole. Le touriste importe le pétrole.

Et c’est pour cela que lorsqu’on regarde bien, et bien objectivement, la campagne française d’aujourd’hui, on peut voir qu’elle est exsangue, elle n’existe que par les flux, essentiellement d’essence et de produits pétroliers. L’eau se fait rarissime. Les salaires des gens sont gonflés au niveau où il est possible de se payer les machines industrielles nécessaires pour faire perdurer ce modèle. On y récolte la mauvaise santé, le mal de vivre, la boulimie et le sourire idiot.

Si les gens n’avaient qu’à manger, niveau « énergie nécessaire pour vivre », ils redécouvriraient que ce qu’ils voient comme paysage est en réalité magnifiquement productif, pour des populations plusieurs fois plus grandes que celles qui existent actuellement.

Et c’est pour cela que ma fureur augmente, je vois que c’est la dernière chose que veulent les gens qui sont installés là. Ils veulent tout ça pour eux. Ils veulent « quelques réfugiés » mais pas trop. Ils ne se sentent pas en capacité d’accueillir toutes les misères du monde. Vas dire cela à un rwandais, il te rit au nez.

Comme tout le monde, quoi. Des enfants. Devenir adulte, c’est apprendre qu’on ne peut pas avoir tout ce qu’on veut, qu’il faut tenir en compte ce que veulent les autres. Je comprends que le droit à la propriété privée est l’un des principes de la Déclaration de Droits de l’Homme de la révolution française, qu’elle est, en partie, une réaction contre le pouvoir arbitraire de l’état absolutiste, mais cet état absolutiste y laisse ses traces. C’est comme si chaque adulte devenait un enfant irresponsable, qui dit « je fais ce que je veux chez moi, point barre ». Et c’est à l’état de lui assurer son rêve-fiction, sinon il se révolte, c’est juvénile.

Cette idée va bien plus loin dans les Cévennes, c’est comme si chaque petit bled imaginait que la vraie liberté, ce serait quand elle réalisait une autarcie communale totale, alimentée par des voitures.

Chaque segment de la population a ses propres raisons, croit-il, pour protéger son style de vie – les chasseurs, les anti-chasse, les éditeurs et vedettes à la semi-retraite, les pratiquants de médecine alternative avec des jeunes familles, les services à la personne qui s’occupent de la campagne EHPAD, la campagne HP, scolaire, sports pleine nature, et dans les Cévennes, la chaleur et la solidarité humaine, face à l’état, créent d’autres synergies d’auto-protection, un vaste immobilisme social qui augmente ma fureur.

C’est ici que l’on tue le monde. N’avez-vous pas noté, le tabou, dans tous ces questionnements, c’est de mettre en question la voiture à la campagne ? Macron l’a bien compris. Une interlocutrice m’a dit, aujourd’hui, qu’elle a voté écologiste pendant des années, jusqu’à ce que, selon ses dires, les écolos soient devenus « punitifs ».

C’est la même personne qui m’a posé la question « mais comment voulez-vous que je vienne visiter mes enfants de la Bretagne, sans voiture ? ».

Ou il y a « comment voulez-vous que j’amène mes enfants à la crèche, je vis sur les Causses ? ». Ou « comment veux-tu que je viennes à mon atelier, j’ai pris un an pour en trouver un, tellement il y a peu d’endroits à louer ? »

Chacune de ces personnes a choisi de vivre là où il vit. Autour d’elle, des granges béantes, des ruines cadastrées, des pans de montagne entiers en friche à cause de la confusion multipropriétariale, victimes du système d’héritage fissile, et le Parc National, qui agit pour nier aux humains l’accès à l’habitat.

Pour les personnes qui essaient, à titre personnel, de créer un îlot de vraie fonctionnalité du vivant, sans les carcasses de voitures et de camions, il y a la menace de se faire détruire son habitat. On peut dire que dans la mesure que l’on vit en cohérence avec l’écologie, on vit en illégalité, ici. Lorsqu’on défend des arbres qui risquent de vivre des centaines d’années, on fait une bêtise. L’agriculture, c’est la destruction annuelle de tout ce qui vit. C’est un champs. Il faut que ce soit « nickel et propre » pour attirer les subventions. Tout est réduit en poudre, idéalement chaque année. Faucheuse, Moissonneuse-batteuse, Girobroyeuse, Débroussailleuse, ces noms laissent peu à l’imagination, leur boulot est de détruire le vivant, à répétition.

jeudi 2 octobre 2023

En fait, je me trouve face à une culture de plus en plus aliène. Je viens de voir un film, Anatomie d’une Chute, qui laisse en creux son sujet, au point de risquer d’être idéologique, dogmatique, enfin c’est mon doute. La question posée dans le film est, est-ce que le mari s’est suicidé ou est-ce qu’il a été tué par sa femme ? La réponse : il est responsable de ses propres actes. On a entendu leur dispute de la veille, où elle a été cruelle avec lui, ce qui expliquerait son élan suicidaire. Le film « ne juge pas ». Tout est question de responsabilité individuelle.

C’est le soir d’une grande tempête, sur l’ouest du pays. Sur France Info on a droit à une série d’experts qui recommandent de rester chez soi, pour ne pas répéter une autre grande tempête de 1999, qui a produit des fatalités, faute d’anticipation. Ici, dans les Cévennes, il ne pleut même pas et il n’y a aucun vent.

Les deux sujets se lient dans ma tête, par le biais de la responsabilité et les conséquences collectives. Ce qui a changé dans les 23 ans entre les deux tempêtes. D’abord la fiabilité des prévisions. Ensuite, la technologie des alertes par téléphone portable, vraiment très efficace, si tu as un téléphone portable et qu’il est géolocalisé. Mais il y a un problème,qu’est-ce qui se passe si tout le monde reçoit la mauvaise information ? Avec moins d’efficacité, voir des décisions dans des petits agglomérats de communicants humains, il pourrait y avoir plus de fatalités, mais aussi plus de chances que certains des groupes s’en sortiraient. C’est un peu ce que fait l’évolution.

Mais une société où tout est ou noir ou blanc ne permet pas cette flexibilité, ou elle tient, ou elle casse, elle est devenue « brittle », cassante. Comme nous n’acceptons plus la moindre fatalité, nous n’avons pas la moindre résilience. Nous ne courons plus de risques. Les individus ne se sacrifient pas, les uns pour les autres, tous travaillent pour qu’il n’y ait aucun risque. Un peu comme dans une guerre où aucun de ses soldats ne meure (et toutes les morts sont de l’autre côté).

Mais la mort, elle reste une fatalité, pour nous tous. Qu’est-ce qu’on aura gagné ? Il me paraît qu’il y a un glitch logique, de faire appliquer une logique de calcul des individus morts, pour généraliser sur une société où personne ne meure. La société n’est pas la somme des individualités. Est-ce que la réalité sociale chiffrée, par nombre d’individualités, a un sens ? Peut-être pas, peut-être la méthode de calcul est erronée.

Pour le film, la méthode de calcul est erronée, l’attitude de la femme pèse dans la mort de son mari, même si elle ne le tue pas. N’y a-t-il pas lieu déconsidérer une autre méthode de calcul, de calcul intriqué, pour résoudre ces équations ?

Pour la tempête, pour ceux qui aiment braver les vents, qui ne portent pas de portables, n-y a-t-il pas un risque de mort acceptable ? Le problème avec des chiffres simples, cumulatifs, c’est que l’idéal, c’est zéro morts, mais j’aurais tendance à croire que, vu les mesures qui doivent être prises pour atteindre cet objectif, mieux vaudrait proposer que l’idéal, c’est quelques morts, ou que l’idéal, il ne se mesure pas en morts.

Bletchley Park : IA générative, reconnaissance faciale. Mêmes thèmes, en quelque sorte. Le monde est tellement branché que tout le monde se jette sur le même sujet, avant que cela ne vrille, hors contrôle. Ils savent qu’il faut une seule instance d’une nouvelle idée technologique, pour que cela se répande à la vitesse de la lumière partout. De nouveau, ne serait-il pas de bon conseil de limiter la rapidité et l’échelle de ces mouvements ? Comment mesurer ce déclinaison ? Ce n’est pas un chiffre, c’est une modalité organisatrice.

Comme le langage. Comment mesurer l’efficacité du langage ? Je remarque que j’ai été troublé dès le début par la linguistique quantitative, mesurer le vocabulaire des gens, la fréquence des mots, même la configuration des mots – les mots en préfixe « co- » par exemple. Ce n’est pas ça, la langue. Ce n’est que le sens qu’il fait, la langue.

  • Ce n’est pas en utilisant peu de mots qu’on fait plus de sens, la breveté n’est pas censé être plus sensé. On peut proposer d’autres systèmes que la langue, pour penser, sans doute, ce n’est pas pour autant que ces autres systèmes ou méthodes font plus de sens, pour nous ou par leurs conséquences.

Et des langues, il en a toujours eu, pendant qu’on a été là. Donc, comme pour l’évolution, l’idée d’une langue universelle est un oxymore, le fait linguistique est autant construit sur l’incompréhension mutuelle que l’intelligibilité.

A moins que je me trompes, le but de ces intelligences artificielles est, en quelque sorte, de rendre intelligible, tandis que chez l’être humain, on chuchote, on parle d’autres langues ou du jargon, en baisse ou on monte la voix, tout dans le but de ne pas être compris par certains, et d’être compris par certains autres.

Question d’organisation, de nouveau, pas de quantités, de 0 à 20, négatives, positives, qui mesurent les résultats, pas les processus.

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