jeudi-vendredi 8 / 9 juin 2023

Scalar

Une question d’échelles ?

Je suis en train de rouler sur une route, dans l’occurrence l’avenue de Toulouse, à Montpellier. A vélo. Une colonne de trafic monte lentement la côté vers le grand M, il fait chaud, humide, la pollution est au max.

Je regarde par habitude le bord de route, où je trouve de temps en temps des toutes petites pièces, en cuivre. Je les ai toujours trouvé magiques et distrayantes, les bords de route, les lisières, ce sont comme des livres ouverts sur les histoires des « habitants » défilants. Plus rarement, des pièces en bronze. Très rarement, bimétalliques. Je me demande si leur rareté est dûe principalement à leur valeur relative, leur poids, leur visibilité, il y a sans doute une courbe de distribution qui s’explique par plusieurs facteurs, ce qui n’empêche pas qu’il y ait un ou eux facteurs qui sortent du lot, en termes de prévision.

Mes errances doivent paraître assez bizarres, du point de vu des conducteurs de voiture. Je m’arrête, j’attends que le file se mette en motion, je rebrousse chemin, je récupère, tout en essayant de n’avoir l’air de rien, comme le paysage. Je ne sais pas si c’est par pudeur, mais c’est une route que je fréquente, à des horaires assez habituels. Il se peut que je suis un personnage connu, dans les parages, pour cette seule tendance, alors que les autres véhicules restent mutuellement peu familiers, surtout que les couleurs noir et blanc et les formes très similaires rendent la tâche d’identification sans intérêt.

Mes errances vont plus loin. Je vois une rue parallèle sur laquelle je ne me suis pas encore aventuré, je m’y lance. C’est comme ça que j’ai trouvé une pièce de 2, oui je dis bien DEUX euros, sur une route que je n’ai jamais fréquenté auparavant. Juste parce que je suis allé voir ! Est-ce que je suis le seul collecteur de pièces comme ça, et qu’il eût fallu que moi, j’y passe, pour récupérer la pièce, restée plusieurs semaines sur place ?

Peut-être les détecteurs de métaux seront les premiers à utiliser des robots pour "tout prendre" et qu'ils ne sont pas passés par là parce que ce n'est pas sur google, encore.

Peut-être vaudrait-il mieux le considérer du point de vu de la volonté des parsemeurs de pièces – on les jette, on les perd, mais si la valeur est suffisante, on est plus attentif, on les retient et on les récupère. Dans des milliers de co-locs, un pot à pièces permet de condenser les pièces les plus humbles, comme leçon de vie, pour, dans un cas d’urgence, les compter et aller emmerder le commerçant du coin. Mais sinon, on les jette, on les perd, partout où on va. Quelle insouciance !

Mes errances, je le ressens, ressembleront probablement aux errances des fourmis ou des autres animaux qui cherchent du fourrage. Peut-être pas aux patrouilles des prédateurs, autour de leurs territoires – qui chercheront plutôt des points panoramiques, où l’on peut faire le guet, sentir le vent, écouter les sons. Ce sont, en tous cas, des « search patterns », ce qui n'est pas le cas pour les colonnes de voitures régimentées.

La route majeure sur laquelle je me trouve est dédiée à l’expédition à destination du maximum de véhicules par heure. Des « échoppes » essaient de choper le trafic au passage, en rajoutant des ronds-points aux ronds-points, des drives aux parkings, comme du camouflage culturel. Le rond-point du grand M a aussi son petit M, le Macdonalds, trois supermarchés, une salle de sports, un magasin de bricolage, … Le vacarme est terrible, jour et nuit les infra-sons nous vibrent.

Est-ce que, dans le monde non-artificialisé, il y avait de telles affluences, de telles populations mixtes ? Il y a le bruit des marées, des orages, des cascades et rapides, eau assourdissante à la longue, le bruit de la pluie sur la tôle, symptômes de l’entropisation et des franges d’interférence déchaînées.

Ou est-ce juste une folie passagère, d’essayer de faire se côtoyer des voitures, des camions, des bus, des motos, des vélos, des trottinettes ? On voit le stress que cela induit, de par la multiplication et la ségrégation des voies : trottoir, piste cyclable, voie de bus, route à voitures. Dans la version de luxe, on rajoute un ou deux tramways. La surface latérale devient tout simplement démesurée, jusqu’à cent mètres de large – ces voies prennent plus de place que leurs destinations, mais sans aucun but d'efficacité productive en perspective. La fin justifie les moyens, les moyens la fin … à perte d'horizons. On amène de la glace aux tropiques.

Niveau temps de parcours, il se passe quelque chose d’intéressant, c’est souvent le vélo qui prime. Les gens se plaignent que les vélos – et d’autant plus les trottinettes – ignorent le code de la route, ce qui est idiot – tout le monde ignore conscientieusement le code de la route, y inclus ceux qui la construisent – surtout ceux qui la construisent, par observation.

Sur l’avenue de Toulouse, on voit par exemple que la règle d’un mètre et demie de distance entre les voitures et les vélos varie – parfois la piste vélo s’arrête, coup net, comme si l’on avait abandonné la partie. Parfois on cohabite avec les bus, parfois non. On m’a expliqué que les voies de bus et pistes cyclables en rose, sont de couleur rose pour ne pas trop offenser les automobilistes – ils auraient l’impression qu’on les avaient envahi et volé « leur » route, si c’était du jaune. Petit à petit, on me dit, avec un sourire malicieux.

On « ignore » le code de la route pour des raisons de sécurité – si on ne l’ignorait pas, on mettrait tout le monde en insécurité. Chantier oblige.

Dans ce monde de flux circulatoires, ce sont les agents individuels – les voitures, les vélos, qui prennent les décisions. Ce n’est pas qu’il n’y a pas de règles, au contraire, mais ce n’est pas le code de la route, tel qu’il est écrit, qui gouverne – cela est juste le début de l’affaire.

Et observablement, cela marche assez bien, il y a très peu de signes d’agressivité, dans un contexte qui est plutôt fait pour en créer. Les vélos et les piétons, on leur laisse la place, on ne les klaxonne pas. Peut-être le code de la route, il a servi à cela, au moins, à inculquer des valeurs, des valeurs aspirationnelles, de côtoiement sans fraternisation. Et les accidents, on les évite … c’est très dangereux, tu peux perdre ton permis, tu peux être démasqué. On pourrait même dire que sans culpabilité, sans peur d’être découvert, le système ne fonctionnerait même pas.

Mais ce qui se passe sur le trottoir est encore plus auto-réglant. Entre le bâti et le trottoir il existe des fissures. Et ces fissures servent d’autoroute pour les fourmis. Surtout à cette époque, d’essaimage et de division de colonies, dans la chaleur et l’humidité, l’activité est à son comble. Il y a plusieurs fois plus de fourmis, qui courent dans les deux sens, sur ces voies uniques, que de véhicules humains à leurs côtés. En les observant, tu te rends compte qu’ils ne décélèrent pas, mais qu’ils font des déviations, à toute allure, ce qui fait l’effet d’un débordement, sur les côtés, là où il pourrait exister blocage. Mais gare à l’humain qui fait ça, il risque d’être très mal vu !

C’est cependant un peu ce qui se passe lorsque tu as plusieurs types de véhicules sur la même route, ils adaptent leurs parcours, de seconde en seconde, dans des équations et des calculs vectoriels chaque fois plus complexes, en apparence, mais qui obligent, à partir d’une certaine saturation, à réduire la vitesse, jusqu’à ce qu’elle s’approxime à celle des plus lents. La monoculture de la haute vitesse se plie à la monoculture de la vitesse constante, comme avec les fourmis, dans une certaine harmonie rythmique.

Il n’est donc pas par pur hasard que le vélo devient le véhicule le plus rapide, dans ce contexte. Il est le plus rapide si, dans le système globale « route », son existence est accommodée. Sans oublier les fourmis, qui avancent peut-être aussi rapidement que les voitures, en termes réelles, aux heures de pointe.

Après le grand M, cela devient une autre affaire, qui se ressemble à une voie express, qui s’attache à un autre rond-point où des vraies voies express et des vraies autoroutes commencent à s’établir.

Ici, les règles changent dramatiquement, le vélo n’a pas plus lieu d’être sur ces voies qu’un véhicule en contre-sens. L’affluent devient fleuve, à la confluence.

Ici, je décris une sorte d’écosystème qui émerge du seul diktat « route », route à voitures, route à faire que les voitures, elles roulent. Le reste, c’est du bric-à-brac, des vaines tentative de faire que la monoculture « voitures » existe encore, mais qui mettent en évidence tellement de variables externes que dans son expression même, la route ne ressemble plus guère à son objectif déclaré.

Maintenant, tournons le regard sur les variables quantifiées, parce qu’ici, de nouveau, les objectifs ont été subvertis. Les véhicules font pleuvoir des déchets sur la route, elles écrabouillent et rendent en poussière et en fumée des parties d’elles-mêmes, principalement les pneus et toutes les autres parties mouvantes, son essence. Celles-ci s’accumulent, s’incrustent dans la matière même de la route, créent des vernis, tuent les voisins, ce sont les « externalités » du système « route » qui deviennent, néanmoins et cumulativement, ce qu’est la route, noyée dans ses déchets.

Pour moi, ce sont des pièces de 2 centimes. Pour les fourmis, ce sont des miettes. Bien que j’ai vu une fourmis en train de manœuvrer une plume de vingt fois sa taille, cet après-midi, je méconnais les raisons, je ne sais pas ce qu’elle voulait en faire, de la plume. Mais je sais que les objets d’intérêt, pour une fourmi, sont tout autres que pour moi, au point que pour moi, ils sont invisibles.

Dans un contexte naturel, une piste, une route, un chemin, c’est un « centre de broyage ». Du fait, tout simplement, que l’on marche dessus, qu’on la piétine. Des êtres vivants se sont saisis de cette opportunité pour faire communauté. Les tubercules du trèfle, comprimés et piétinés, dégagent de l’azote, ce qui intensifie, avec les déjections des animaux, la fertilité aux deux lisières du chemin. On voit le même phénomène en archéologie. Dans les anciens habitats humains, on peut connaître les périmètres d’une hutte du fait que le sol est plus riche et noir – c’est ici qu’ont atterri les détritus de la vie de ses habitants.
Fatalement, sans plan, mais avec des résultats plutôt très utiles pour tout le monde. Il faut chercher dans les choses les plus banales et prosaïques, comme l’accumulation de débris autour des axes d’activité, la base d’écosystèmes et de formes de vie les plus complexes. Plus ça brasse, plus ça produit.

Plus c’est une route, plus ça produit, aux marges.

Sur un sentier, par exemple, on verra, à la bonne époque, des quantités innombrables de petits monts de granules – de sable, d’argile, avec des cratères. Ce sont les œuvres des fourmilions, qui se nourrissent des fourmis qui tombent dedans.

On se demande comment toutes ces bestioles arrivent à éviter d’être écrasées par les pieds de ceux qui passent. De nouveau, en étudiant les réactions des fourmis, comme celles des moustiques ou des mouches, on se rend compte compte du point auquel leurs jugements et leurs réactions sont finement jugés. Pour eux, le geste le plus rapide humain est d’une lenteur telle qu’il est facile de le prédire et de l’esquiver. La seule manière de leur tromper dans leur réactivité est de faire approcher l’objet – la main, le pied, de tous bords pareil, ce qui empêche le calcul d’un vecteur d’échappement, avant qu’il ne soit trop tard pour l’exécuter. La tue-mouches, blanche, avec ses plusieurs petits trous, profite du même phénomène – la mouche est obligé de calculer les plusieurs potentiels trous de secours, objets amovibles, pour s’y échapper, avant de se rendre compte que ces trous, malheureusement, sont trop petits pour elle. On l’a débordé d’information, pour la piéger.

théorie des catégories de nouveau

La théorie des catégories, dans la mesure que je la capte, ne parle pas d’échelle, mais de catégorie – dont l’échelle n’est que l’un des aspects déterminants potentiels.

globalisation

La globalisation est devenue un sujet de plus en plus en vue, dans les deux dernières décennies.

Il y a un entre deux – entre : « analyse catégorielle » et « analyse scalaire », que j’appelle « cohérences » - désolé s’il se trouve que c’est devenue toute une discipline, dont je n’ai rien entendu. En tous cas, l’échelle – la magnitude, la quantité des choses, d’un endroit à autre, est largement insuffisant comme trame d’analyse et les « scalars » (les mesures de volume, de vitesse, de masse, etc. ) servent, mathématiquement, comme bases pour une analyse vectorielle d’un système – ils sont les paramètres fixes qui permettent de mesurer la performance du système en mouvement, tout comme la route est la base statique qui permet le mouvement, les flux.

La globalisation est devenue un sujet brûlant parce qu’on a vu que le cumul des plusieurs choses que l’on fait à plus petite échelle, qui ont des impacts de plus en plus forts, potentiellement catastrophiques, au niveau global, c’est-à-dire pour nous tous.

D’autres mots qui s’invitent dans ce contexte, sont des mots comme « holiste » ou « dynamique », des analyses qui ont plusieurs référents, plusieurs échelles, des mailles, des nœuds, des interactions – ici on s’approche de la raison d’être d’une théorie des catégories.
En fait, une analyse « top-down », une analyse « réductionniste », une analyse avec des tenants et des aboutissants imbriqués dans sa définition, prenons l’exemple d’une « route à voitures », ce genre d’analyse et de projet est, on le voit bien maintenant, voué à l’échec. Tout ce qui a été considéré comme secondaire ou marginal au but central ne cesse d’accumuler – et de poser problème, de devenir LE problème.

De poser problème, surtout pour nous. La route, elle est clé, elle concentre l’accumulation de problèmes, elle est surtout une axe d’évolution rapide, où l’aptitude (« la survie du plus apte ») compte réellement pour quelque chose. On ne sait ni comment ni pourquoi, exactement, mais on sait que les fourmis choisissent de se mettre dans les fissures au bord non-route du trottoir, par exemple. Pour elles, cela évite de se faire écraser et cela donne l’accès aux deux côtés, aux surfaces des deux côtés de leur autoroute à elles. Il y a quelque chose de hypnotique à voir ces rubans d’apparence tressée, composées de milliers d’individus qui courent, la moitié à la verticale, sur les murs, et avec aplomb.

Mais c’est peut-être pour une raison tout autre, et plus fondamentale encore, qu’elles ont choisi le trottoir, côté maisons. C’est à cause de la gestion de l’eau – de l’humidité. La route est construite de telle manière qu’elle est supposée étanche, depuis le début du dix-neuvième siècle. L’eau de ruissellement pénètre dans les fissures au bord de la partie imperméable et c’est donc là que tout devient possible, niveau « vie », d’autant plus qu’il y a l’abri au sec, sous la route, tant recherché par les insectes. Ils se sont placées à la frange, à l’interface entre ces deux mondes, le seul accident de terrain qui compte, dans un écosystème route.

Les fourmilions (environ 2000 espèces d’insecte dans la famille névroptère des Myrméléontidés) donnent la contre-partie – de toute apparence, ils acceptent le risque et se distribuent là où ils peuvent, étant sédentaires, et s’il y a beaucoup de trafic, ils vont, fatalement, on pourrait dire, ceux qui survivent, se trouver plutôt aux bords du chemin, c’est la mérite d’être marginal. Si c’est elles qui sont là et pas quelqu’un d’autre, c’est que leurs trous donnent quand même un peu de protection contre la compaction des pas, et elles ont une source prolifique de nourriture (les fourmis). Leur cycle de vie, dont l’état larvaire ne fait qu’une partie, est rythmée aux cycles de pluie et de beau temps.

Au bord du chemin, le détritus, le sable, les nombreux éclats de verre, le kératine des milliards d’insectes brisées, le calcaire des escargots, l’hémoglobine du sang, s’accumule avec chaque crissement de pneus, pour devenir, grâce aux intervenants, terreau fertile, mobilisé, métabolisé. La vie se construit au bord des chemins et donc des routes, qui ont toujours été des broyeuses, des brasseuses de la vie et de la mort.

On peut voir que, en prônant une technique et pas une autre, pour accepter les charges chaque fois plus imposantes de nos véhicules sur nos routes, la technique du bitume et du calcaire zéro trente qu’est devenue cette technologie, bref, cette création d’une monoculture de fait a radicalement altéré l’« écosystème route », sans aucune intention de le faire et avec des conséquences, pour l’équilibre de cette vie des bords de route, tout à fait non-anticipées – ignorées ou dépréciées par les décisionnaires.

L’écosystème « route », je le dis, sachant qu’aucune reconnaissance officielle est accordée à ce concept, parce qu’elle n’est pas assez « matérielle ».

Si la seule finalité d’une route était d’expédier des véhicules avec de plus en plus de réussite, parce que de plus en plus efficaces, rapides et sécurisés, entre point A et point B, si c’était celui-là, le seul but de la route, elle serait comme elle est, on me dirait. Autrefois c’était pareil, on n’avait pas les moyens d’aujourd’hui.

Eh bin ? On a les quantités. L’artificialisation des sols, c’est la route. L’artificialisation des bords de route, d’autant plus. On dit que l’on vit dans l’Anthropocène, parce que c’est l’anthropos – l’Homme, qui a l’impact le plus dominant et durable sur la géologie – sur la Terre – il est devenu une « force naturelle majeure ». Du genre qu’on ne paye même pas les assurances pour ses dégâts ( ! ), ce qui relève de la déresponsabilisation collective, par incohérence. « L’être humain est comme ça, n’y a rien à y faire, … ».

Eh bin ? En termes physiques, c’est au bord de la route que se trouvent la plupart des impacts des humains sur l’environnement. Dans la mesure que l’on étend son rayon d’action, sa fréquence, sa vitesse, on multiplie la magnitude des conséquences, des impacts, de ses actes.

Je parle au singulier, mais les routes, c’est un effort conscient de démultiplier ces actes.
L’objectif des routes, c’est de faciliter le distanciel. L’écosystème « routes », existe parce que cette volonté démultiplicative existe. Et chaque point sur ces routes, ces réseaux routiers, est moulé autant par cette raison d’être que par sa réalité physique si transitoire.
On n’a qu’à considérer la culture romaine – connue pour son usage de béton et ses routes pavées et droites, toujours dans le but de connecter, à des distances de plus en plus grandes, à des échelles de plus en plus vastes, sa logistique de commande.

« Si la seule finalité d’une route était d’expédier des véhicules avec de plus en plus de réussite, parce que de plus en plus efficaces, rapides et sécurisés, [ … ] »
Je l’ai dit et je le répètes ici.

Parce que, très clairement, cela ne peut pas être le seul but. La globalisation veut dire « ça ». Comme un intrus à la fête.

C’est une manière de dire que tout est multifactoriel, et qu’il faut en tenir compte, lorsqu’on construit des infrastructures, surtout des infrastructures qui entretiennent ou font émerger une « monoculture ». On ne peut pas s’abstenir du débat, lorsqu’on se trouve face à une monoculture meurtrière.

Je peux convertir cette idée en termes dites « physiques » ou « concrètes » ou tangibles », avec des mots comme « biomasse », des volumes, des statistiques – mais est-ce que je dois vraiment le faire ? Est-ce que je n’ai pas déjà assez dit pour que l’on voit qu’une petite chose, une bifurcation dans l’évolution des fourmis qui les permet de choisir le trottoir, côté maisons, peut permettre à la « biomasse » des fourmis de monter, par des tonnes et des tonnes, et avoir son effet, également démesurée, sur l’infrastructure dite « route » ? On m’a raconté qu’à danser toute la nuit sur de la terre battue, une foule a baissé le niveau de cette terre par dix centimètres. Essayez une fois de vous placer près d’une route où passent des camions, allongés dans le sens de la route. Vous sentirez la terre fléchir, à chaque passage, de chaque essieu.

Ne ferais-je pas mieux d’étudier, de très près, les fourmis, si mon objet était de comprendre le fonctionnement de l’écosystème « route » ? Peut-être que oui, peut-être que non – les fourmis, mais quoi en dire des bactéries, ou des virus (!) ou de toutes les matières transportées, ou emportées, d’un lieu à autre, comme par une rivière ? Que dire du vent ? La liste de candidats est longue, aussi longue que la route, qui devient centrale à l’activité de la biote. N’oublions pas que la route, c’est aussi « les routes », là où des formes de vie ou de non-vie établissent un axe de mouvement, il y en a d’autres qui le parcourent et les humains, avec leurs œuvres routières, comme avec leurs chemins de fer et leurs canaux, ouvrent ou créent d’autres écosystèmes, dont profitent d’autres formes de vie.

Il y a enchevêtrement des cadres logiques d’analyse, et répercussions entre échelles, cela est clair.

Mais concentrons-nous sur les effets de l’humain. Heureusement, elles sont concentrées auprès des routes – si elles étaient également distribuées partout sur la terre, le défi serait d’autant plus grand, mais dans l’occurrence, la proportion de débris dans les sous-strates atteint des niveaux où il est possible de les miner – de les extraire. La pollution que nous avons créée, nous avons toute possibilité de la traiter, parce qu’elle est surtout aux bords des routes. Il est plus que probable que des formes de vie, comme les fourmis, sont déjà en train de faire ce sale boulot pour nous – pourquoi réinventer la roue ?

Traiter cette lisière comme un écosystème, c’est tout-à-fait logique. Cela positivise l’affaire – on refait vivre, on assainit dans le but de refaire vivre, avec toutes les réserves possible sur le sens de ce mot « assainir ».

Et où se trouve la voiture, dans ce mixte de priorités ? J’ai envie de dire « nulle part ». Ses atouts majeurs, telle qu’elles sont conçues actuellement, deviennent, écologiquement parlant, ses défauts principaux.

Elle va trop vite. Elle ignore tout sauf la destination. Elle ne fait pas partie, au contraire, elle coupe à travers l’écosystème, alors qu’avant, elle en était la force motrice, ce couloir de vie qui s’appelle une chemin, une voie, avec deux lisières.

La route est un écosystème comme les autres

La faute, notre faute d’intelligence collective, jusqu’à là, a été de considérer les écosystèmes comme des unités surfaciques, non-vectorielles, alors que tout indique le contraire – les surfaces s’étalent à partir des lignes – des trajets des êtres vivants – et rien n’empêche les surfaces elles-mêmes de bouger, de s’étaler, de se transposer d’un lieu à d'autres. Une réserve naturelle ne sert plus si elle est débordée de tous les côtés par un sol artificialisé.

Pour cette raison on parle de « corridors », de couloirs écologiques, qui permettent à se rejoindre aux îlots de biodiversité. On analyse la migration des oiseaux sous l’optique des gîtes de passage qui leur permettent de continuer ces rotations. Etc. Un exemple d’une réserve de biodiversité, c’est le mangrove, un écosystème très riche, très distinctive, qui protège les côtes de l’érosion.

A Toulouse, et dans d’autres villes, on essaie de récupérer les rives des rivières pour la ripisylve – « l’ensemble des formations boisées [ … ] qui se trouvent au bord des cours d’eau ». Ce sont, après tout, des voies publiques écologiques, ces rubans de végétation ininterrompus, au bord des flux d'eau. Dans un autre article ( textes des rives ), j’examine ces mêmes cours d’eau en tant que véritables routes ( thoroughfares - artères ) multifonctionnelles. Dans ce cas, c’est le milieu, l’eau elle-même qui bouge, constamment – il n’existe pas de plan d’eau – de l’eau qui stagne – sans qu’elle ait préalablement bougé.
Que les rivières, marais, anciens bassins de captage des moulins d'eau et autres milieux aquatiques ne soient pas un "ensemble d'écosystèmes à défendre", dans toute leurs diversités et complexités, ... comment ne pourraient-ils pas l'être, imbriquées comme ils le sont dans le paysage, enveloppées dans leurs ripisylves ?

Une mégabassine, dans cette analyse, est un archaïsme. Il est là pour "capter" des mêtres cubes d'eau, les enlever de tout dialogue avec le milieu. Comme les tuyauteries qui les abbreuvent, ils contiennent de l'eau morte.

Ce sont des véritables mètres cubes: la seule raison d'être de ces "conteneurs" est de contenir des volumes d'eau.

Sur un autre sujet, pas si anodyn, il y a la question de la production alimentaire - nourrir le monde - pour lequel l'accès à l'eau devient LE sujet à penser, avant tout. On parle de l'agroécologie. Mais c'est un peu comme le terme exploitant agricole, ou "agroforestrie", une contradiction dans ses termes. Une autre agriculture n'est pas possible, elle est à ce moment-là mal-nommée.

C'est du jardinage que ça traite, pas de la culture des champs mais de la culture des petits espaces, pas nécessairement horizontaux, des clairières, par exemple. On peut dire horticulture, si l'on veut (hortus=jardin) y mettre un mot en latin. Rien n'empêche, ..., mais pas agriculture, qui est une autre histoire.

Larzac est un bon causse parce que c'est comme s'il avait subi toutes les affres du destin et il est encore là. Toutes ces interventions de l'humain, en terre maigre et sèche, plein de cailloux. Et, dès qu'il y a un creux, de la vie enrichie. Les routes à voiture sont austères, droites, exposées aux éléments, dominent maintenant le paysage par leur horizontalité.

C'est de la fin de l'agriculture que ça traite, dans ces terres à la fois agricoles et jardinées. Plus de présence humaine ici produirait plus de par-vents, plus d'humidité, plus de milieux de vie, y inclu celui de l'eau à l'état liquide. Issue de notre ingéniosité, la vie est dure gagnée sur le Larzac, depuis des siécles.

Pour cela qu'ici, c'est le paysage même qui nous donne des indices et des prémonitions sur l'aridité et la garrigue qui nous attend, à l'avenir, ailleurs en France métropolitaine. Si l'écologie est une guerre, mieux vaut former les soldats écologiques dans ce terrain d'entraînement que le laisser à la zone militaire, c'est une question de vie et de mort !

Living Labs

... est une appellation officielle permettant l'opération d'"expériences écologiques" exemptées du cadre réglementaire normatif, pour des raisons de recherche et d'expérimentation. Cela permet l'étude, par exemple, d'habitats jardinés par des jardiniers de passage, avec des refuges de jardinage, analogues aux réfuges de montagne ou aux huttes de chantier dans leur fonctionnalité.

La mobilité douce ainsi proposée permet de tester ces habitats productifs adaptés à ces types de mouvement, à pied et à vélo. Une infrastructure écologique est une infrastructure qui a un bilan positif, écologiquement, et en particulier en termes de son bilan énergétique et dépendance industrielle.

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