jeudi 1 juin 2023

récits écologiques


« On a besoin d’un récit. »

De l’Eau jaillit le Feu est un film (2023) qui donne un récit, le récit de la lutte contre les mégabassines et en particulier celui de Sainte-Soline (département des Deux Sèvres) au bord du Marais Poitevin.
http://www.cinemas-utopia.org/montpellier/index.php?id=4059&mode=film

https://www.youtube.com/watch?v=QwfI6FHOL7Y
est un documentaire sur le Newbury Bypass Protest (1996) en Angleterre. En regardant les deux, côte-à-côte, on voit des subtiles différences, mais aussi une forte similarité.

Et ici un autre documentaire sur Newbury, qui a l'air un peu plus chouette et authentique :
https://www.youtube.com/watch?v=-ScZN9z0U_Q

Cela vaut le coup de comparer les comportements et techniques dans ces deux contextes de confrontation. Le film sur Newbury met en lumière la gaieté, la créativité et les rigueurs qui peuvent accompagner la désobéissance civile, dans ces luttes et occupations de terrain de longue durée. Mais il met en évidence aussi un langage de corps, une proximité, entre les policiers et les manifestants, très peu visibles dans les luttes vénéneuses d’aujourd’hui en France. On peut l'expliquer en disant qu'il y a eu changement de doctrine policière (maintenez la distance!), mais ce n'est pas ça, à mon avis, et je prends pour témoin les expressions sur les visages, dans ces films. ACAB? Avançons masqués? On joue avec le feu, ou on fait feu ?

Le récit, si je ne me trompe pas, reste à peu près le même, c’est devenu une formule. Dans un film, on choisit un personnage central, ou quelques uns – des incarnations. A Newbury, c’était « Swampy », un très jeune, très petit activiste qui passait son temps dans des tunnels très étroits et inaccessibles, qui n’avait et ne voulait aucune autorité. Je reconnais certains des autres personnages, mais ce n’est pas ce qui intéresse, ce sont les scènes collectives qui impressionnent. C’est en fait un journal populiste de droite qui a choisi de mettre Swampy en avant, en accord rigolo avec les manifestants, qui ne voulaient ni leader, ni porte-parole. La taille et la corpulence de la classe dirigeante et des forces de l’ordre les a tout simplement interdit l’accès à Swampy qu’ils demandaient.

A la ZAD de Notre Dame des Landes, on n’a pas voulu de chef non plus. Tout le monde s’appelait Camille, pour rendre l’identification des « malfaiteurs » plus problématique pour les forces « de l’ordre ».

Mais les exigences de la propagande sont, à vrai dire, la raison d’être de ces oppositions contre des mégaprojets. On peut citer Larzac et José Bové (No Pasaran), qui, comme Daniel "Le Rouge", n'occupe plus du tout la même position idéologique que jadis ... Mais à Nantes, vers 2012-13, 10 000 gens de la ZAD ont manifesté sous le slogan « ZAD Partout », sans chefs et sans mots en -iste. Cette aspiration consensensuelle ne s’est jamais convertie, pourtant, en un vrai retissage de liens et d’actions au niveau local, partout. Cela reste à faire.

Le bilan de ces techniques – de chercher de la pub pour un récit emblématique qui va se transposer dans la sphère politique – est, pour tout dire, épouvantable, surtout que la violence – le sang - est à marchander pour rendre l’événement notable, aux yeux du média. Ce n’est pas étonnant – si c'est cette finalité qui justifie les moyens.

Nous parlons de 50 ans de luttes, ici, qui, dans un contexte catastrophique au niveau du climat et de la biodiversité, n’ont aucunement réussi à augmenter l’opposition (auto)organisée contre l’état industriel – qui l’ont plutôt fragmenté, cette opposition. C’est peut-être à cause de cette recherche trop manifeste, par quelques activistes de classe moyenne-supérieure qui essaient de faire foule, visiblement marginaux et excentriques, qui démotive le peuple et désarme l’écologie, laissant la voie royale aux solutions techniques. Et c'est à cause de ce vide de propositions concrètes d’infrastructure non-industrielle.

Pour changer, il faut du sang, paraît-il – il faut réagir contre le système, sans pour autant en proposer un autre. De là, le besoin d’événementiel et de vedettes, un peu comme pour un concert de rock, ou un festival, dont les ZADs sont les héritières, avec les raves. D’ailleurs, pourquoi n’existe-t-il plus, ou pas encore des circuits écologiques de festivals écologiques ? Les rainbows ? C'est souvent le camion qui a fait le gros du chemin.

Julien Le Guet, le « star » dans le documentaire De l’Eau jaillit le Feu, nous à parlé dans le cinéma de l’Utopia, après la séance, par viséo-conférence, d'une cave, au Marais Poitevin. Très particulière, cette expérience, lui qui occupait, Mélanchonesque, l'entiéreté d'un écran de projection, au ciné, et nous devant ...

Pour lui, l’une des clés du succès relatif de cette campagne contre les mégabassines et leur agriculture industrielle, c’était tout simplement de faire des réunions chaque semaine et aller sur les marchés pendant quelques années, d'être dans le détail de ces interactions, pour arriver à une équipe d’une douzaine à une trentaine de personnes en liaison utile, montant à soixante en période d'activité intense. Il y avait aussi le facteur d'un blog vidéo régulier, vu par plusieurs, qui a joué. Mais 30,000 d'arrivants, c'était un ordre de grandeur qui dépassait la logistique habituelle ...

On peut supposer que l’autre raison de fond pour le "succès", c’est que la recette et le menu proposés ont été d’une conventionnalité profonde, qui cochait toutes les cases d’un récit médiatique répété, dans diverses actions, depuis cinquante ans.

Un autre récit

Peut-être le récit que nous avons envie d’entendre est un récit social qui rend un autre monde possible. Mais de ce monde, nous n’en voulons pas – ou nous ne voyons pas bien comment ça pourrait marcher, cela génère des peurs.

Pour s’attaquer, donc, au problème du non-recevoir populaire, on prescrit de l’homéopathie, on s’applique à saper notre croyance dans les différents piliers du système industriel, les transports, l’usage de l’eau, les pesticides, le plastique, sans oser proposer de vraies infrastructures holistiques alternatives. On les appelle "monocultures", alors que le monde moderne loue le choix, le consentiment, la flexibilité ...

On devient des « défenseurs de la nature (dont nous faisons partie) », ce qui évite d’aborder frontalement le besoin pressant de changer de système. Le système, c'est une organisation hiérarchique, n'est-ce pas ?

D'autres vérités : "L'apoliticisme, c'est l'idéologie du statu quo" et « Les types qui se déclarent apolitiques, ce sont des réactionnaires, fatalement. » Simone de Beauvoir, 1954. ( source: resolez@lists.riseup.net https://mastodon.tetaneutral.net/@demoiselles )

Et l’autre récit continue de faire défaut. Pas de système pour remplacer le système. Cette situation ne peut qu'être transitoire, puisque la sécheresse s'impose sur nous de plus en plus - mais comment fait-on, sans rajouter au réchauffement ? Il n'y a pas assez de bras pour remplacer les machines, à la campagne. Les activistes écologiques risquent fort d’être oubliés, tellement ils n’ont pas abordé la question. Pour nier le stigmate de la radicalité, ils se laissent devancer par les politiciens conventionnels, mais dans ce cas, à quoi cela sert, tout cet activisme ?

Qui d’entre eux n’a pas accès à une bagnole, un téléphone portable ou un ordinateur branché sur internet ? Les fonctionnaires, l’équipe légale, la gestion publicitaire, deviennent même l’épine dorsale de la lutte. Ces grandes kermesses de l’écologie n’existeraient pas sans industriel – on peut même dire que le déplacement du parc auto d’une grande manifestation à la campagne coûte en général plus que l’œuvre à laquelle il s’oppose. A l’Occupation de Newbury, c’était même l’un des buts, de coûter cher, très cher, à l’état – mais les protestataires, ils venaient de partout dans le pays, en minibus. Bien que sur place, souvent de manière affichée, on soit dans les "petits gestes" écologiques.

Logiquement, pour ne pas être en contradiction évidente avec ses idéaux, on proposerait d’autres manières de se rassembler, mais il y a une sorte d’inertie dans cette attraction au grand événement, d’envergure nationale, ne serait-ce que pour répondre aux besoins des activistes de ne pas se sentir tous seuls dans leur coin.

Julien le Guet a mentionné que l’ambition cet été est de lancer une série de convois, composés de tracteurs et de vélos, venant de différentes parties de la France, en convergence vers Paris. Il a même suggéré que ce serait bien si le cinéma de l’Utopia installe des toilettes sèches. Mais, et il est bien placé pour le savoir, ce n’est pas cela qui compte, médiatiquement et politiquement. Ce qui compte, c’est l’événement – et son incarnation médiatique. Jusqu'au point où, dans la chaleur de l'action, on brûle du plastique !

Considérons maintenant pourquoi il est nécessaire, si ces luttes vont servir à quelque chose, de créer l’infrastructure qui les permette de faire boule de neige, partout, dans la durée – et rapidement, étant donné le peu de temps qu’il nous reste pour changer, radicalement, d'infrastructure, tous ensemble.

D’abord, si l’on veut que ces mouvements élargissent leur socle populaire, il faut qu’ils soient accessibles à la majorité d’entre nous, et pas aux seules minorités bénies de suffisamment d’argent pour faire des centaines de kilomètres en voiture en se passant de revenu, où les autres minorités suffisamment privilégiés pour avoir déjà un pied-à-terre à la campagne - ou des amis qui en ont ... la deuxième maison, la gîte saisonnière, ...

En réduisant les frais de l’entreprise, on la rend accessible à tous. C’est intelligent, aussi, de ne pas jouer des contextes où l’argent compte pour beaucoup – c’est justement la force majeure de l’état et de l’industrie qui sera déterminante dans ce cas.

Non, si l’on est sérieux, on marche et on fait du vélo, mais on n’amène pas de tracteurs. Sans transport motorisé, on réduit le rayon de chaque action, on augmente la durée, on crée une continuité, plusieurs mouvements, plusieurs actions qui se rejoignent, parsemés autour du pays.

Dans le cas de la mégabassine, un exploitant agricole un peu « anarchiste de droite » a décidé de mettre à disposition une partie de ses terrains pour accueillir les activistes, selon Julien. Avec un peu plus de continuité et de connectivité, il y aurait sans doute beaucoup de propriétaires terrestres prêts à mettre leurs terrains à disposition, mais pour cela il faudrait qu’ils soient en confiance avec le mouvement. Comment générer cette fiabilité ?

Ici, le récit nécessaire est une visualisation pragmatique d’un réseau d’accueil et d’orientation écologique, accessible à toute la population, et pas juste à une petite minorité.

Le danger, si l’on reste dans une bulle d’activistes, est qu’il n’y aura aucune légitimité démocratique à plus grande échelle. Lorsqu’on prêche aux convertis, c’est les convertis qui votent, … Lorsqu’on prêche la démocratie participative, il faut voir qui peut bien participer.

Julien le Guet a souligné le fait que son collectif n’était pas une assoc. juste des gens, et qu’il n’y en avait pas besoin puisqu’il n’y avait pas d’argent dans l’affaire. L’un des aspects de cette lutte est, justement, de penser à ce que les autorités publiques inventent des prétextes pour chercher le ou les « groupes de malfaiteurs » qui peuvent être attaqués en justice. De là la sensibilité à cette question associative, sans doute – mais est-ce vraiment la bonne tactique ?

Il se peut que plusieurs des hypothèses avancées ici sont mal fondées, mais elles sont basées sur une écoute attentive de ce qui est dit par Julien et dans le documentaire, et on pourrait également dire que, justement, le récit manque d’originalité à l'égard de sa force propositionnelle - est-ce qu'il y en a, des propositions ?

Il faut suivre cette logique un peu plus loin. Normalement, si l’on accepte la territorialisation de ces mouvements, l’un des actes fondateurs serait de se baser sur des axes de mouvement régulières, de créer une infrastructure fiable pour permettre à la population locale d’y accéder. La voiture et les télécommunications, au contraire, mettent un flou sur cet objectif.

Le fait d’imprimer son propre récit, sa propre culture, cette nouvelle vision, devient important. On sait que les toilettes sèches, ce n’est pas un sujet « sexy ». C’est pour cela qu’il faut faire l’effort – une force de proposition par les actes, la création d’infrastructure aussi généralisable que localisable – et vivable, il faut le vivre, pour en parler, pour créer le récit il y a besoin d'expérience du récit.

Quoi de plus simple que d’aménager des lieux où on fait pousser sa propre nourriture, dans des jardins, sur son chemin ? C’est de l’or vert qu’on parle ici. De la France des campagnes repeuplée. Des lieux alternatifs existent, mais est-ce qu'ils sont accessibles, reliés, stables ?

Dans les conférences sur la crise de l’eau qui ont précédé le film, on a eu droit à des explications techniques du problème, reconnu comme multidimmensionnel, sans pour autant entendre des propositions sociales et politiques pour s’en sortir. Or, obliger les opposants à passer un temps interminable à réfuter des arguments détaillés, c’est l’une des tactiques classiques des industriels. L’autre étant la destruction ou l’absence de contre-exemples, d’information et d’études d’infrastructure, surtout infrastructure de voyage, alternative.

Mais, il faut les créer, les contre-exemples ! Le Marais Poitevin est intéressant, dans le sens qu’il a été un environnement artificiel ancien qui montrait une certaine réussite, un certain équilibre, autant pour la biodiversité que pour les humains, un exemple d’« artificialisation des sols » non-industrielle. Pour devenir, actuellement, une instance de la destruction d’un contre-exemple.

Dans cette situation, de résistance contre la destruction massive d'un écosystème, il faut de la mobilité – la capacité de bouger, de passer du temps sur place sans tuer la nature qu’on est censé protéger, de concentrer ses forces là où il y en a besoin et au moindre coût. On a des éléments, des ingrédients de ce menu, mais très peu coordonnés. Leur rentrée dans le quotidien de plus qu’une petite minorité est nécessaire. Cette pensée sur le transport, l’hébergement et le travail utile, maillés sur tout le territoire, est, en bref, ce qui manque.

Julien le Guet a proposé que pour lui, il fallait des violents et des non-violents, des conservateurs de la nature, des acteurs sociaux, des gens de tous bords avec des idées de tous bords. Peut-être, pour lui, c’est ce qu’il faut, pour la défense du marais.

Un melting pot et un endroit où les nouveaux peuvent se former. Mais est-ce que l’on a vraiment le temps ? Cela laisse un vide organisationnel qui permet aux associations les mieux constituées dans ce petit monde d’activisme écologique de prendre la part dominante réelle dans les stratégies suivies, des stratégies définies aussi par la finalité de leur propre recrutement et « succès » compétitif. Et tout cela sans aucune légitimité démocratique réelle, par rapport aux enjeux, qui nous touchent à tous.

Dans la réalité, la démocratie participative constituante – la force de proposition écologique, se constitue seulement lorsque cette infrastructure, qui permet des déplacements sans essence, existe. Sinon, les orgas, l'argent et les lobbies vont dominer l'affaire.

Sans ce déclic, il n’est pas étonnant que l’on se focalise sur la défense des paradis naturels, des intérêts et des sentiments des gens qui les habitent. Ce qui permet aux opposants de nous assigner le rôle de « doux reveurs ». N’oublions pas que ceux qui ont tendance à plus souffrir du changement climatique sont les pauvres et qu’ils vivent, en général, en centre-ville et en périurbain. Il n’est pas surprenant, pour autant, de voir qu’ils sont très peu investis dans les questions écologiques du monde rural.

Le repeuplement écologique de la campagne devient un vrai sujet. L’auto-constitution de corps délibératifs qui vaillent le nom, aussi. On oppose souvent l’intérêt local à l’intérêt général, mais dans un pays de deuxièmes résidences qui permettent aux riches de dominer la campagne, ce sont ceux qui utilisent le plus le transport motorisé qui décident pour tous. C'est en vélo que le peuple peut envisager de réhabiter la campagne.

L’un des conférenciers a souligné que le droit des propriétaires était très fort en France, mais il existe plusieurs possibilités, des baux, des droits de métayage, de travail saisonnier et itinérant, qui peuvent coexister dans ce cadre, sans parler des voies et places publiques et biens d'état. En exploitant ce potentiel, on peut très bien envisager une transformation du tourisme de consommation en tourisme de production, de biens écologiques.

Ici des liens envers des pages qui décrivent ou recommandent ce genre d’infrastructure.
http://www.cv09.toile-libre.org

https://ecowiki.inecodyn.org

Peut-être vous en avez, des idées ou des pratiques infrastructurelles, à proposer :
rout@inecodyn.fr ( infrastructure écologique dynamique )

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